Rencontre avec Ole Bornedal

08-01-2010 - 00:17 - Par

BornedalITVBandeau

Vous le savez, à Cinemateaser, on a beaucoup aimé JUST ANOTHER LOVE STORY. Au festival Ciné Nordica, on a eu l’occasion de rencontrer son réalisateur Ole Bornedal, un Danois qui fut un jour en contrat avec les Weinstein pour une carrière hollywoodienne avortée. Mais qui n’a pas dit son dernier mot en matière de cinoche ultra-efficace et d’entertainment «à l’américaine». La preuve, les USA en redemandent.

BornedalPensez-vous que ce genre de festivals qui met en lumière le cinéma danois ou norvégien est symptomatique d’un certain regain d’intérêt du monde pour le cinéma scandinave ?

Je ne sais pas vraiment en quoi ce festival consiste. À vrai dire, on m’a demandé de venir sur Paris présenter deux de mes films, DELIVER US FROM EVIL et JUST ANOTHER LOVE STORY, et c’est toujours un plaisir de venir en France. Il y a deux semaines, j’y rencontrais des producteurs… Bon, ça dépend de quel cinéma nordique vous parlez. Du cinéma réaliste et très social qu’on sait faire ou si vous me parlez des films complètement surréalistes dans le genre d’ANTICHRIST… Mes films sont plutôt le mélange d’un certain réalisme typiquement danois et d’intrigues à l’américaine. Forcément ça aide à franchir les frontières…

Mais savez-vous quelle proportion de films danois parvient à être distribuée à l’étranger ?

Bien plus qu’avant, c’est certain. Mais attention aux statistiques, car il y a aussi bien plus de salles d’art et essai dans le monde. Il y aura toujours des centres culturels coréens, canadiens ou français pour sortir un film danois. En revanche, les films danois qui parviennent à avoir une distribution aux USA, dans des cinémas normaux, sont rares. Nous pouvons espérer au mieux qu’ils soient achetés par des chaînes de télé et qu’avec le temps, ils soient connus par un large public.

Parlons de vos films qui ne s’adressent absolument pas qu’aux adeptes du cinéma danois. Êtes-vous d’accord pour dire que vos films, des thrillers rondement menés avec un léger fond social, sont assez internationaux ?

Bon, je suis né au Danemark, je n’y peux pas grand-chose. Ce n’est pas pour ça que mon cinéma est forcément le fruit de la culture nationale. J’y ai ma vie, mes enfants, et le danois est ma langue natale. Mais sans vouloir paraître anti-nationaliste, je suis un citoyen du monde et quand je fais un film, j’essaie d’écrire la meilleure histoire possible, la même que j’écrirais aux USA, en France ou en Asie.

JALSAlors pourquoi ne pas avoir démarché Hollywood avec le script de JUST ANOTHER LOVE STORY ? Cela vous aurait exposé à plus de succès…

Mes scénarios sont trop compliqués pour les USA. Trop tordus et difficiles à appréhender. Par contre, une fois qu’ils sont mis en image, les producteurs américains comprennent : «Ah, c’est ça qu’il voulait faire, Ole Bornedal ! Nous aussi on veut un film comme ça !». Et voilà comment James Mangold (WALK THE LINE) produit aujourd’hui le remake de JUST ANOTHER LOVE STORY.

Et c’est Marc Webb, le réalisateur de 500 JOURS ENSEMBLE qui le réalise, d’ailleurs. Ça vous convient ?

Oh oui. De toute façon, je n’ai pas mon mot à dire, moi, j’ai fait mon boulot. Je suis curieux de savoir où ils emmèneront le film, c’est tout. Hollywood ne produit des remakes que parce qu’elle a tué dans l’œuf sa propre créativité. Ils ont tellement peur de faire de mauvais choix qu’ils préfèrent les produits mainstream. Tous les longs-métrages se ressemblent. Les films les plus audacieux sont des remakes d’œuvres européennes. J’ai fait le tour du monde avec un script sujet à controverse autour d’une femme aristocrate très mûre qui tombe amoureuse d’un voyou de 23 ans… J’ai rencontré au moins 20 producteurs américains qui disaient que c’était «génial» sans même oser me proposer quoi que ce soit ! Et c’est en France, où j’ai rencontré un de vos producteurs les plus importants, que le processus de production pourra se lancer…

VeilleurEn 1997, vous réalisiez le remake de votre propre VEILLEUR DE NUIT pour les USA, avec Ewan McGregor en tête d’affiche, tout comme Haneke a retourné son propre FUNNY GAMES. Avec le recul, diriez-vous que c’est absurde de refaire un film qu’on a déjà tourné ?

Absurde ? Non. C’était juste trop facile.

C’était juste pour l’argent ?

Non, non. Le processus était intéressant. Le travail avec les acteurs et les acteurs eux-mêmes étaient fascinants. Mais je sais maintenant qu’on ne devrait jamais faire la même chose deux fois. Faire un film, c’est comme une superbe partie de jambes en l’air. Si jamais vous avez le meilleur orgasme de votre vie, c’est une utopie d’essayer d’avoir à nouveau exactement le même orgasme le lendemain. Réaliser un film est bien trop intuitif pour espérer reproduire l’expérience avec la même joie ou le même élan.

SubstituteSam Raimi produit le remake de votre film THE SUBSTITUTE, l’histoire d’une classe d’enfants convaincus que leur professeur remplaçante est un alien, via sa nouvelle branche de production Spooky Pictures. Trouvez-vous que «votre» film est entre de bonnes mains ?

Jusqu’à présent, j’en suis convaincu. Sam est un homme vraiment très intelligent, très créatif. Nous avons longuement parlé du genre de THE SUBSTITUTE, qui peut être vu comme un thriller d’aventure avec des gamins. Voyez ce que ça peut donner à Hollywood… L’intrigue n’est pas tant l’histoire d’une prof extraterrestre que celle d’un garçon qui perd sa mère et renie le monde tel qu’il est. C’est son voyage du royaume des morts vers celui des vivants en compagnie de quelques enfants très ancrés dans le monde réel avec de vraies réactions d’enfants. Comment éviter alors que la version américaine ne soit bouffée par des performances de kids calibrés pour devenir des stars, ces clowns, ces petits freaks d’Hollywood trop intelligents pour être spontanés ? Ils me font peur ces gamins, ils méritent d’être dans des films d’horreur. J’en ai discuté avec Sam, et il est totalement d’accord pour trouver les jeunes acteurs encore purs de toute gloriole ou de toute soif de célébrité. J’espère que Sam n’oubliera jamais sa parole.

Harvey Weinstein : "Who's the fuck is Russell Crowe ?"

Harvey Weinstein : "Who the fuck is Russell Crowe ?"

Dans les années 90, vous n’avez pas résisté aux sirènes d’Hollywood. Mais vous en êtes vite revenu. Expliquez-nous.

J’étais sous contrat avec Miramax et a fortiori les frères Weinstein. Ils m’en ont offert des scénarios : HALLOWEEN 5, HIGHLANDER 12, FREDDY 17… Et je ne pouvais pas faire ça… Je menaçais de rompre le deal… Puis Harvey, pour me retenir, m’a proposé un film en costumes qui se passait en Angleterre au XVIIIe siècle, très intéressant, écrit par le scénariste du SILENCE DES AGNEAUX. Bref, un film d’une qualité très très élevée. Je suis donc parti en Angleterre démarrer le casting. Une fois là-bas, je n’arrivais plus jamais à joindre Miramax. Du jour au lendemain. Injoignables, les frères Weinstein. J’ai appris qu’ils voulaient Tom Cruise et Nicole Kidman dans le film. À ce moment-là, Cruise et Kidman étaient simplement en train de travailler sur EYES WIDE SHUT avec Kubrick et je savais pertinemment que j’aurais dû attendre 10 ans avant qu’ils en aient fini avec Stanley… J’ai dit à Harvey Weinstein que Tom Cruise n’était pas un choix qui me plaisait, que je préférais ce nouvel acteur très prometteur, Russell Crowe. Alors il a grommelé comme il sait si bien le faire : «Who’s the fuck is Russell Crowe ?» (C’est qui ce putain de Russell Crowe, ndlr). Au lieu d’être payé à attendre et donc à rien foutre, je suis rentré en Europe. C’était mieux pour ma santé mentale.

Vous y retournez aujourd’hui, puisque vous préparez actuellement THE HUSBAND avec Focus Features.

Oui, je choisis mes collaborateurs, maintenant… THE HUSBAND est un thriller très émouvant. J’en écris actuellement le scénario, basé sur le roman du même nom de Dean Kuntz et nous devrions commencer le tournage cette année. C’est l’histoire d’un mec plutôt lambda, fauché, qui doit trouver 2 millions de dollars pour sauver sa femme d’un kidnapping. C’est une histoire très noire, un thriller psychologique tordu aussi. Et puis je travaillerai ensuite sur un thriller tokyoïte très flippant, en collaboration avec le producteur de THE RING, Takashige Ichise. C’est une coproduction americano-nippone. Et puis au final, j’ai THE LADY AND THE THIEF, le film dont je vous parlais, que la France et l’Angleterre financeront, et dans lequel Focus Features désire aussi s’investir.

Les films danois ont cette particularité d’être toujours très violents émotionnellement et JUST ANOTHER LOVE STORY en est l’exemple parfait. D’aucun dirait que c’est une bonne manière de surchauffer les relations dans un pays aussi glacial que le vôtre.

C’est toujours intéressant de trouver des raisons climatiques aux genres cinématographiques phares de chaque pays. W.C Fields (acteur, scénariste et humoriste américain du début du XXe siècle, ndlr) disait que si les Danois ne souriaient jamais, c’était parce que le froid de Scandinavie leur paralysait les muscles (rires). Chez moi, il fait sombre, la lumière est souvent grise… Ça aide à développer un certain cinéma. Puis, au Danemark, nous sommes majoritairement protestants. Nous sommes pétris de culpabilité. Nous sommes nés coupables, dans des familles qui portent de lourds secrets. Les Catholiques ont cette chance de pouvoir se confesser et après 5 Ave Maria les voilà absouts de tout péché. Nous, nous souffrons (rires). Voilà la raison de la noirceur de nos films. Aussi, pour revenir à des raisons plus climatiques, il faut dire qu’en Scandinavie, ça caille, les gens ne pensent qu’à rentrer chez eux, s’isoler dans de petits appartements surchauffés et surtout, ne pas trop communiquer entre eux. Nous sommes des animaux qui hibernons. Ça, c’est un drame.

Nikolaj Lie Kaas dans JUST ANOTHER LOVE STORY

Nikolaj Lie Kaas dans JUST ANOTHER LOVE STORY

Pensez-vous qu’un film comme JUST ANOTHER LOVE STORY, dans lequel Nikolaj Lie Kaas joue un personnage très sombre, ait aidé sa carrière à décoller internationalement, notamment dans ANGES & DEMONS, la préquelle du DA VINCI CODE ?

Nous avons de très bons acteurs au Danemark, dont trois ou quatre peuvent prétendre à de très belles carrières mondiales ; je pense à Mads Mikkelsen (CLASH OF THE TITANS, ndlr), Nikolaj, Paprika Steen (FESTEN, ndlr), Ulrich Thomsen (L’ENQUÊTE, ndlr). Mais je m’excuse platement et je m’excuserais jusqu’à la fin de ma vie si JUST ANOTHER LOVE STORY a amené Nikolaj Lie Kaas à faire ANGES & DEMONS. Parce que c’était vraiment un film merdique.

Just Another Love Story, de Ole Bornedal, Danemark. Avec Anders W. Berthelsen, Nikolaj Lie Kaas. 1h40. Sortie le 6 janvier

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