Mother : chronique et interview de Bong Joon-Ho

25-01-2010 - 10:06 - Par

MotherBandeau

Festival de Cannes dernier : le réalisateur sud-coréen de THE HOST présentait MOTHER, rejeton naturel d’un cinéma sanguin et viscéral, mais un tantinet surprenant. Nous l’avions rencontré sur la Croisette.


Chronique du film

MotherPosterUne mère, un fils léger déficient mental, le meurtre d’une jeune femme et déjà l’enquête pointe le fiston comme le potentiel criminel dans ce qui s’avère être une vulgaire erreur judiciaire. Pas étonnant : souvent dans le cinéma sud-coréen, les flics redoublent de préjugés, les autorités aux airs délétères ont peu de panache… Mais ils sont pugnaces. Comme les protagonistes de cette histoire déchirante, celle d’une mère, dévouée corps et âme aux affaires pourries de son fils, qui ne tardera pas à sombrer dans la folie lors de sa quête désespérée de justice. MOTHER est souvent à contrepied du cinéma de Bong Joon-Ho : s’il plonge à nouveau dans les relations familiales viscérales, avec son personnage féminin en guerre, il développe le féminisme sous-jacent de THE HOST ou MEMORIES OF MURDER centrés sur des hommes en colère mais nourris de filles conquérantes. Mais surtout, il démarre son film dans une douceur et une poésie visuelle déconcertantes, si bien que, l’espace d’une bonne demi-heure, on se demande s’il n’a pas troqué son style violent et puissant (voir le dernier quart d’heure de THE HOST brassant des imageries d’émeutes et de guerre) pour du drame plus cérébral. Mais non, évidemment. On s’est grossièrement fourvoyé : en dévoilant subtilement les personnalités, les passés de ses personnages, en brodant tout aussi finement la très complexe relation mère-fils, élément clé de l’histoire, Bong Joon-Ho livre non seulement un film dense en psychologie familiale, mais aussi un thriller comme il en a le secret : organique, profond et difficile. On s’y enlise malgré soi, trompé par ce personnage principal d’abord inoffensif mais plus dangereux qu’un animal sauvage à qui l’on voudrait tuer son petit. Pour enfin comprendre qu’à l’instar de son héroïne fascinante, Joon-Ho nous a trompé. Il est plus que jamais les deux mains dans les viscères à autopsier ce qu’il y a de plus sombre en chacun de nous.

Mother, de Bong Joon-Ho. Corée du Sud. Avec Won Bin, Kim Hye-Ja. 2h10. Sortie le 27 janvier.

Interview de Bong Joon-Ho

BJHbandeau

MotherPicTraiter des relations mère-fils, c’était combler l’absence de la figure maternelle dans THE HOST ?

Au cinéma, tout est question de contre-réaction. Dans THE HOST, il y avait des pères sur deux générations. Aujourd’hui, dans MOTHER, le père a complètement disparu : il fallait bien que j’y arrive à cette relation mère-fils, qui est pour moi l’une des relations les plus fortes. Elle est différente de toutes les autres, elle part d’une fusion : le garçon sort de la mère… Physiquement, déjà, le rapport est incomparable à tout autre lien familial.

Avez-vous l’impression d’être passé sur le divan avec MOTHER ?

Je lis dans mes films seulement une fois qu’ils sont finis. Il y a des choses que je n’ai pas faites intentionnellement mais qui en disent long. J’y vois clairement mes démons après coup. Je ne m’en rends pas compte à l’écriture ou au tournage, j’ai l’impression alors de raconter une histoire comme tant d’autres. Et puis, je vois le film. Je prends peur et je me dis : merde…

Mêler comédie et tragédie comme vous le faites dans vos films, c’est une marque de fabrique coréenne ?

Oui, le public coréen est friand de ça. Mais user de tragi-comédie, ce n’est qu’être fidèle à la réalité. Tout ne peut pas être tout noir ou tout lumineux dans la vie de tous les jours. Alors j’aime mêler au même instant les deux tons. Si les gens sont gênés de rire devant une scène horrible, alors j’ai réussi, si ce n’est le film, au moins la séquence.

Quel genre de cinéphile êtes-vous ?

Quand j’étais petit, j’étais irrémédiablement attiré par les histoires sombres. Je regardais des thrillers, beaucoup, des films noirs ou de la science-fiction très dystopique. Peu importe le pays d’origine du film. Peu importe encore si c’était un vieux film ou s’il venait de sortir : je me nourrissais d’histoires vraiment sombres. Je détestais les trucs joyeux, ça, je peux vous le dire. Aujourd’hui, en tant que réalisateur, je fais surtout des films que j’aimerais voir.

BJHQue pensez-vous du remake de THE HOST par Hollywood ?

Ça me va. Gore Verbinski était censé le produire pour Universal, n’est-ce pas ? Dans tous les cas, j’y gagne : s’il est réussi, je serai fier d’avoir été à l’origine d’un grand film. S’il est pourri, c’est le mien qui restera dans les mémoires. Je sais aussi qu’ils comptent faire une suite en Corée puisque j’ai cédé mes droits, mais je ne suis pas impliqué… et les Chinois veulent aussi le remaker, apparemment… J’ai tellement de choses à faire, d’histoires à écrire, que tous ces projets me passent un peu au-dessus de la tête.

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

L’adaptation de la bande dessinée française de science-fiction « Le Transperceneige », le voyage d’un train autour de la Terre, alors qu’elle n’est plus qu’un immense glacier. Park Chan-Wook en sera le producteur.

À des milliers de kilomètres de la Corée, on a du mal à percevoir quelle est votre réputation dans votre pays…

Je suis encore un débutant en Corée. Je suis bien plus frais que ces grabataires de Park Chan-Wook et Kon Ji-Woon (rires). Dans la rue, parfois, on me reconnaît : «ah, c’est lui, machin, là… » Mais jamais, on ne me réclame un autographe.

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