City of Life and Death : chronique

21-07-2010 - 18:40 - Par

CityLifeDeathBandeau

Le cinéma chinois peut-il observer son histoire sans censure ni propagande nationaliste ? Oui. La preuve avec le troisième film de Lu Chuan.

1937. L’armée japonaise est aux portes de Nankin, alors capitale de la Chine. Pour soumettre leurs ennemis intimes, les nippons ont ordre de ne pas faire de prisonnier. En résulte un désastre militaire pour la Chine, et un véritable massacre en forme de barbarie sans nom des civils. En retraçant le massacre de Nankin, qui est au Japon ce que le massacre des Arméniens est à la Turquie, Lu Chuan, dont le CITY OF LIFE AND DEATH a été approuvé par la censure gouvernementale et a reçu un accueil public phénoménal, avait tout pour livrer une grande fresque nationaliste. Une belle propagande à la gloire de l’Empire du Milieu. Le bonhomme, talentueux, évite tous ces écueils avec brio.

CityLifeDeathPosterSi vous n’êtes pas au fait de l’histoire chinoise, et de ses relations tourmentées avec le Japon, ne fuyez pas. Car CITY OF LIFE AND DEATH, avant d’être un retour précis et documenté sur le massacre de Nankin, s’avère avant tout une œuvre de cinéma, et, comme un SOLDAT RYAN, accessible par le simple fait de sa beauté esthétique (un noir et blanc somptueux) et de l’ampleur de son récit. Certes, la première heure du film peine parfois par le manque d’enjeux intimes. L’attaque sur Nankin, s’intéressant davantage au général qu’au particulier (à la différence de SOLDAT RYAN justement), ne donne pas l’occasion au spectateur de s’attacher à un ou plusieurs personnages, rendant l’horreur qui se déroule sous nous yeux quelque peu « impersonnelle ». On se perd quelque peu dans cette boucherie, que Lu Chuan a toutefois la politesse de filmer sans putasserie ni pathos. Mais plutôt avec une poésie désespérée, presque surréaliste (l’exécution des prisonniers sur la plage), regardant la violence en face avec une tristesse sautant littéralement de l’écran.

Ce n’est qu’après, durant l’heure et quart suivante, que le cinéaste parvient enfin à stabiliser sa narration, s’éloigner de la fureur des combats, que CITY OF LIFE AND DEATH, prend réellement son envol. Et tout son intérêt. Même si la dégueulasserie des événements n’échappe pas à cette seconde moitié de métrage (exécutions sommaires, viols collectifs, tortures, entre autres, se succèdent à l’envi), Lu Chuan fixe enfin sa caméra sur les destins ordinaires des victimes, comme des bourreaux. Les premières, évidemment, sont mues par la force du désespoir, et l’émotion de voir un père se battre pour sauver ses enfants ou son épouse ne sert ici aucune filouterie lacrymale. Quant aux seconds, Lu Chuan réussit l’exploit de ne pas sombrer dans la dénonciation bête et méchante. Ici, un officier japonais, dont Lu Chuan fait avec audace le personnage quasi-principal ne cautionne pas les tortures, ou un Nazi se bat pour sauver les réfugiés : des portraits fondés sur des recherches historiques poussées et des faits avérés, faisant de CITY OF LIFE AND DEATH une analyse sans manichéisme de la complexité de la guerre. Rappelant la mesure que Spielberg a su avoir dans LA LISTE DE SCHINDLER ou ses séries FRÈRES D’ARMES et THE PACIFIC. Bien sûr, il faudra avoir le cœur bien accroché pour supporter 2h15 de ces massacres et exactions incessants, mais le voyage, d’une grande justesse émotionnelle et cinématographique, le vaut bien.

City of Life and Death, de Lu Chuan. Chine. 2h15. Avec Hideo Nakaizumi, Wei Fan, Liu Ye, Gao Yuanyuan. Sortie le 21 juillet

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.