Michael Winterbottom poursuit son art sulfureux et livre un grand film sur le point de vue.
Lou Ford (Casey Affleck) est shérif dans une bourgade du Texas. En concubinage avec une jeune fille bien sous tous rapports (Kate Hudson) et très introverti, il a acquis la confiance des notables du coin si bien qu’on l’envoie même régler une sale affaire de prostituée (Jessica Alba) et de chantage. Il se révèle alors être un psychopathe assoiffé de pouvoir sexuel.
Mais ça, il n’y a bien que vous qui le voyez car lui, s’estime dans son bon droit. C’est le pouvoir du matériau original, le roman de Jim Thompson « Le Démon dans ma Peau », écrit à la première personne, mêlant haute psychologie et fort pouvoir cinématographique, un modèle de narration subjective. Véritable plongée dans la tête d’un tueur, le livre est courtisé au cinéma depuis des années : Andrew Dominik (L’ASSASSINAT DE JESSE JAMES) et Tom Cruise s’étaient placés sur le projet à un moment et des actrices comme Michelle Williams, Sienna Miller, Amanda Seyfried ou Emily Blunt ont toutes rêvé d’être les pauvres victimes du shérif ultra-violent.
Il y avait bien eu une première adaptation du chef d’œuvre de Thompson en 1976, avec Stacy Keach dans le rôle titre, mais la maestria du roman n’y était pas honorée. Avec le KILLER INSIDE ME de Winterbottom, rompu aux polémiques et vilipendé pour les scènes de sexe non-simulées dans 9 SONGS, le cinéma se rapproche dangereusement des limites de l’imagination à la lecture du livre. C’est extrême, brutal et dérangeant. La faute, en grande partie, à Casey Affleck qui, avec ses yeux arrogants, ses rictus ambigus et son visage d’ange, campe à la perfection le vice et la morale que son personnage fait valoir. Confondant dans son interprétation, il a de plus la réputation d’être un acteur difficile à appréhender et un homme dur à cerner (rappelons que deux plaintes pour harcèlement sexuel pèsent aujourd’hui sur lui et que ça n’arrange pas son cas), ce qui rajoute indéniablement à l’opacité de ce shérif sanguinaire.
Bien sûr, les plus vives polémiques émanent de deux scènes pénibles à regarder dans lesquelles il se défoule sur ses deux compagnes : la pute qu’il massacre à coups de poing – séquence filmée crûment de face jusqu’à ce que Jessica Alba soit méconnaissable, et la fiancée qu’il frappe et frappe encore en l’espace de quelques plans d’une cruauté insoutenable. Au-delà de la violence, c’est le plaisir sadomasochiste qui s’en dégage qui provoque la colère, mais ce serait oublier le parti pris radical de Winterbottom : avec une voix-off envoûtante et une omniprésence de son personnage principal, le réalisateur déroule un film subjectif, en accord parfait avec le portrait de l’homme qu’il tente de dresser. Scénaristiquement, narrativement et artistiquement, on vit THE KILLER INSIDE ME à travers les yeux d’un psychopathe. Alors pas question pour Winterbottom d’user de compassion ou de jugement. Froid et terrifiant à l’image de son anti-héros, le film est un hommage extrême au film noir ; même dans son plus gros défaut, la prolifération des personnages secondaires plus faiblement construits, débitant des déclarations obscures, de ceux qui ne font que passer et dont on se fout pas mal. Encore une fois, ce défaut peut facilement se justifier par la parano grandissante de Lou Ford qui voit sa couverture menacée par la perspicacité alentours et les soupçons, mais rajouté à un rythme lambinant – qu’on soupçonne parfois être une posture de réalisateur « sans concession »- il est surtout ce qui empêche KILLER INSIDE ME d’être un film accessible, lisible et fascinant. Dommage, car dans sa mise en scène, son interprétation, son audace et sa maîtrise, c’était presque un film parfait.
The Killer Inside Me, de Michael Winterbottom, USA. Avec Casey Affleck, Jessica Alba, Simon Baker. 1h49. Sortie le 11 août
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