Faites le mur : chronique

16-12-2010 - 11:52 - Par

Banksy, un des plus fameux street artists au monde, se lance dans le cinéma en maniant aussi bien le lard que le cochon. Alors, énorme canular ou véritable documentaire au propos ciselé ? Un peu des deux. Et beaucoup de talent.

Thierry Guetta (aucun lien), français installé à Los Angeles où il dirige une boutique de fringues, a une passion : sa caméra numérique. Le bonhomme filme tout, tout le temps, n’importe comment. Jusqu’au jour où il décide de suivre son cousin, un street artist nommé Invader, collant sur les murs des mosaïques de soucoupes volantes issues du jeu « Space Invaders ». Peu à peu, Guetta s’amourache du street art et filme alors nombre de noms connus de cet univers, dont Shepard Fairey. Mais son rêve est de mettre la main sur le Dieu du domaine, l’anglais Banksy, dont personne ne connaît le vrai nom ou le visage. Ce grand jour arrivé, le bonhomme demande à Guetta de monter un documentaire sur le street art avec ses rushes, et le pousse à devenir lui-même un street artist, Mr Brainwash (Mr Lavage de Cerveau). Canular bien monté ? Œuvre premier degré ? La question taraude le public et la presse depuis la présentation de FAITES LE MUR à Sundance en janvier 2010. Peu importe, Banksy signe là un long-métrage euphorisant et mordant.

Banksy est outre-Manche une star iconoclaste. Dans ses images au pochoir, il attaque de façon cinglante tous les sujets d’actualité ou de société, du tout sécuritaire au conflit israélo-palestinien en passant par l’hégémonie parfois couillonne de la pop culture. Le voir être le sujet et le co-réalisateur d’un documentaire ne pouvait donc que nous réjouir. Mais si Banksy clame que FAITES LE MUR est « un des films les plus sincères qui soient », la rumeur se demande si tout ceci n’est pas qu’un gros canular. Avec un peu d’audace, nous assurerons que oui, le bidonnage est roi dans FAITES LE MUR, et représente la raison même du film. L’intention de Banksy, hormis de faire un « film qui soit au graffiti ce que KARATE KID a été au monde des arts martiaux » (sic) ? Faire découvrir le street art, tout en dénonçant avec le sourire ses limites.

Banksy s’élève toutefois au-dessus du simple crachat dans la soupe et s’avère plus malin que nombre de faux documentaires, puisqu’il ne bidonne pas son récit. Uniquement les événements qu’il filme. Ainsi, Mr Brainwash (surnom d’artiste de Thierry Guetta) existe plus ou moins réellement. Il possède vraiment son site web officiel, monte de véritables expositions, a  vraiment réalisé la couverture d’un best of de Madonna. Sauf qu’à la vue de FAITES LE MUR, impossible de croire que Mr Brainwash/Guetta existe réellement. Il n’apparaît que comme un pantin créé de toute pièce par Banksy, à l’insu de tous, afin de montrer du doigt les dérives de l’art contemporain, qu’elles soient mercantiles, artistiques ou médiatiques. Mr Brainwash, stackhanoviste faisant réaliser ses œuvres par de petites mains, apparaît ainsi comme un décalque ironique de Jeff Koons ou un descendant dégénéré d’Andy Warhol.

D’autres indices disséminés dans le film pointent du doigt le caractère bidonné de la chose, comme cette apparition furtive du chanteur Beck, dans un court plan se déroulant dans la boutique de fringues de Guetta. Mais là n’est pas le plus important. Une fois la mécanique de FAITES LE MUR décodée, reste un documentaire vif à la narration hilarante. Banksy brode un récit classique, presque archétypal : un candide découvre un univers en même temps que le spectateur, créant l’identification. En perpétuel mouvement, la caméra et le scénario captent l’attention avec nombre d’infos passionnantes (sur l’émergence du street art, sa confection, ses grands noms, ses règles, ses tendances, son évolution). Et surtout, distille un humour irrésistible via le personnage burlesque de Thierry Guetta, apportant au documentaire un recul salvateur.

Ce regard que Banksy porte sur son métier, s’il apparaîtra cynique à certains, n’épargne toutefois jamais le street artist lui-même. Riant de l’argent qu’il a amassé grâce à des vedettes (Angelina Jolie, Christina Aguilera…) prêtes à débourser des fortunes pour un petit bout de hype, Banksy se décrit comme un responsable contre son gré des dérives qu’il dénonce. « J’ai aidé Mr Brainwash à émerger. Je ne recommencerai pas » lance-t-il dans le film, en forme d’aveu rigolard. Tout est dit. Mais tout était déjà dans le titre anglais : EXIT THROUGH THE GIFT SHOP. La sortie, c’est après la boutique de cadeaux. On ne peut plus clair.

Faites le mur, de Banksy. GB. 1h26. Sortie le 15 décembre 2010.

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