Cannes 2011 : LE HAVRE / Critique

17-05-2011 - 19:20 - Par

De Aki Kaurismaki. Sélection officielle, en compétition.


Synopsis : Marcel, ancien écrivain, mène une vie tranquille au Havre, où il vit de son travail de cireur de chaussures et s’occupe de sa femme. Son existence routinière se voit bouleversée par sa rencontre avec un enfant africain, immigré clandestin se cachant des autorités.

Ne sait-on pas ce qu’on va voir quand on se pointe à une projo d’un Aki Kaurismaki ? Si : cadres fixes, lumières contrastées, couleurs primaires, dialogues minimalistes, acteurs aux gueules disons… typiques. Et dans LE HAVRE, tout y est. La ville du nord, au charme portuaire si cher au cinéaste, lui donne la possibilité de multiplier les scènes en extérieur (plus que d’habitude, s’entend) certes, mais le style du réalisateur finlandais n’a pas changé d’un iota depuis des années. C’est tout ce qui fait son charme. LE HAVRE a tout de même un truc en plus : une vindicte politique claironnée avec un humour acerbe, sous-tendu par une naïveté vraiment touchante.

Kaurismaki, connu pour son stoïcisme hilarant et son petit penchant pour les coups de rouge pris au zinc, présente Marcel, ancien artiste parisien, reconverti en cireur de chaussures au Havre. Il passe des journées routinières, qu’il partage entre son collègue vietnamien, sa femme finlandaise Arletty et sa copine qui tient le bar. Un soir, il rencontre Idrissa, un petit Gabonais clandestin arrivé en France par cargo, ayant réussi à échapper aux mailles de la police. Une police venue armée jusqu’aux dents déloger du container ces familles indésirables. Une absurdité que ne manque pas de souligner le Finlandais, en offrant au très placide Jean-Pierre Darroussin, campant ici un commissaire digne des films noirs, la phrase enragée du film : « c’est bien nécessaire tout ça ? ». Bref, de là, Marcel et quelques-uns de ses amis – la boulangère et l’épicier – aideront Idrissa à rejoindre Londres, là où sa mère l’attend. Jusque là, il faudra échapper aux autorités qui ont apparemment décidé de mobiliser des dizaines de képis pour bouter un gamin hors de France. Pendant ce temps Arletty tombe gravement malade.

Avec son œil de francophile, mais son regard extérieur de citoyen étranger, Aki Kaurismaki dresse un portrait ô combien tendre mais non moins vache de la France, pays toujours extrêmement régionaliste (des discussions de comptoirs irrésistibles autour de la taille des canards et du Mont St Michel le prouvent), ne tarissant jamais de son racisme ordinaire légendaire. Ces remarques cinglantes savamment exposées au détour de dialogues a priori anodins, ne vont pas sans contrepoint. Kaurismaki aime la France et si nous souffrons encore d’un certain passif collaborateur, nous savons aussi, au nez et à la barbe des lois, nous entraider et nous dresser contre elles. Ainsi, LE HAVRE déborde de générosité : il statue dans une naïveté déconcertante que les miracles existent et que l’amour triomphe, à contre courant du pessimisme de nos jours. Ainsi pourrait-on taxer Kaurismaki de venir en amateur traiter l’énorme problème de la gestion et du rejet des immigrés sur notre territoire avec un certain simplisme, une idéalisation du cas des centaines de réfugiés qui veulent traverser la Manche. Mais en embellissant ce fait de société, il statue simplement que tout pourrait se régler plus simplement si les autorités elles-mêmes n’en faisaient pas un combat politique grave, préoccupant, primordial, basé sur des principes de frontières abscons. Il y a un sens des priorités chez Kaurismaki, qu’il soit formel ou de principe, il y a un besoin d’aller vers l’humain, l’utile et le logique, et une telle envie de partager, qu’on en est resté profondément touché.

Le Havre, de Aki Kaurismaki. Avec André Wilms, Kati Outinen, Jean-Pierre Darroussin. 1h43. Sortie le 9 novembre

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.