DRIVE : chronique

05-10-2011 - 12:38 - Par

Une romance impossible. De l’action saupoudrée avec parcimonie. Un acteur en état de grâce. Un réalisateur exigeant. Ou la recette toute conne pour un immense film.

« Vous me donnez une heure et un lieu. Je vous donne un créneau de cinq minutes. Pendant ces cinq minutes, je vous lâche pas. J’interviens pas dans le braquage. Je ne porte pas d’arme. Je conduis. » En une courte scène d’introduction et un dialogue laconique, peut-on vraiment avoir l’impression d’assister à l’intronisation instantanée d’un film au panthéon des classiques ? La réponse, claquante et irréfutable, DRIVE nous la donne tête haute. En dix petites minutes immédiatement immersives, Refn harponne son public via une scène nocturne atmosphérique et fantasmatique, dans lequel son héros taiseux, Le Chauffeur, a tout loisir de s’imposer comme icône cinématographique. Nous voilà prêts à le suivre comme de petits toutous dociles. Pourtant, Dieu sait que Nicolas Winding Refn ne fait ici preuve d’aucune condescendance envers le spectateur. D’aucune velléité manipulatrice. En refusant les codes syncopés et bruyants du blockbuster d’action, le Danois bâtit avec une facilité déconcertante un thriller à dimension humaine et à l’identité assurée, appelant autant les tripes que le cœur et le cerveau du public. En suivant la romance impossible entre Le Chauffeur et sa voisine, –le premier aide le mari de la seconde à se dépatouiller de malfrats sanguinaires et c’est le drame–, Refn crée un conte de fées urbain, et convoque une certaine mythologie du cinéma. Rarement aura-t-on vu, depuis les années 70, un héros aussi incontestable, aussi fouillé dans ses zones d’ombre et de lumière, aussi émouvant dans son autisme sacrificiel que le Chauffeur. À Cannes, la Croisette bruissait de comparaisons élogieuses : Ryan Gosling serait le successeur de Steve McQueen ou Lee Marvin. Pas mieux. Sans revêtir le caractère un peu lourdaud, clinquant et/ou blagueur des action men rendus populaires dans les 80’s et 90’s, Le Chauffeur s’affirme en anachronisme délicieux qu’on voudrait voir érigé en nouveau modèle contemporain. Grâce à lui, DRIVE dépasse rapidement ses atours d’actioner pulp remarquablement troussé : chaque silence, chaque ralenti, chaque note, chaque poursuite, chaque fusillade, chaque baiser, chaque regard de l’excellente Carey Mulligan suinte de poésie mélancolique et prend des dimensions émotionnelles que seul le plus grand cinéma est capable de créer. La faute à la précision et à la maturité de la mise en scène de Refn. En barman de génie, il réalise avec DRIVE un cocktail parfait de tout ce qui nous fascinait déjà dans sa filmo : un peu du réalisme frontal de PUSHER, une dose de l’étrangeté lynchienne d’INSIDE JOB, une pincée du jusqu’au-boutisme esthétique de BRONSON et VALHALLA RISING. Le tout mu par un souci d’efficacité inédit chez lui, digne du divertissement hollywoodien le plus exigeant et réfléchi. DRIVE est déjà un classique, oui. Un chef-d’œuvre intemporel, universel, inépuisable.

De Nicolas Winding Refn. Avec Ryan Gosling, Carey Mulligan, Bryan Cranston. 1h40. Sortie le 5 octobre

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