Cannes 2012 : COSMOPOLIS / Critique

25-05-2012 - 11:58 - Par

De David Cronenberg. Sélection officielle, en competition


Synopsis : Dans un New York en ébullition, l’ère du capitalisme touche à sa fin. Eric Packer, golden boy de la haute finance, s’engouffre dans sa limousine blanche. Alors que la visite du président des Etats-Unis paralyse Manhattan, Eric Packer n’a qu’une seule obsession : une coupe de cheveux chez son coiffeur à l’autre bout de la ville. Au fur et à mesure de la journée, le chaos s’installe, et il assiste, impuissant, à l’effondrement de son empire. Il est aussi certain qu’on va l’assassiner. Quand ? Où ? Il s’apprête à vivre les 24 heures les plus importantes de sa vie.

Avec COSMOPOLIS, on pensait voir revenir le Cronenberg charnel et dérangeant de ses débuts. Perdu. Le cinéaste canadien ne nous offre sans doute pas ce que l’on espérait de lui – bon OK, y a quelques scènes de sexe –, mais en grand cinéaste, il est finalement plutôt logique qu’il diverge de ce que le monde pouvait attendre de lui. C’est donc ici un opus hautement théorique et bavard qu’il nous livre (ainsi conforme à l’esprit du roman de Don DeLillo), un regard chargé en philosophie sur le monde d’aujourd’hui, celui de l’ultra libéralisme, de la crise, de l’information omnipotente, omniprésente, protéiforme que certains analysent pour dominer nos vies. « Les gens vivent et mangent à l’ombre de ce que nous faisons », dit ainsi le personnage de Jay Baruchel. COSMOPOLIS ou comment en une journée, le milliardaire Eric Packer voit sa fortune se déliter à force de trop de spéculations boursières, et accueille divers personnages de son entourage – dont il dispose et jette à sa guise – pour deviser de tout et de rien, dans le confort d’une limousine le protégeant (provisoirement) d’un monde en pleine confusion et rébellion. Il faudra sans aucun doute plusieurs visions pour arriver à bout de la densité de COSMOPOLIS, tant Cronenberg, qui fonde ici son récit quasiment uniquement sur le dialogue (un peu trop ?), aborde foule de sujets, du plus anodin au plus complexe, en une sorte de gigantesque puzzle décortiquant l’inhumanité du système contemporain. Cronenberg, après A DANGEROUS METHOD, nous fait ici une quasi analyse freudienne du capitalisme – avec phrases définitives et/ou débats impossibles à trancher en deux heures –, et opte pour une démarche clinique, froide, dont le capitalisme ressort non pas agressé, mais déconstruit et humilié, tant il apparaît robotique. Comment peut-on trouver le sens de nos vies dans une telle absurdité ? « Où vont dormir ces limousines le soir ? », demande Eric Packer à son garde du corps, rappelant forcément le HOLY MOTORS de Leos Carax, qui lui aussi, s’interrogeait sur ce qui fait (encore) courir l’humain moderne. De la célébrité à l’argent, du sexe au pouvoir, de la révolte à la quête d’identité, Cronenberg ratisse large pour sonder la dépression qui gangrène nos esprits, et trouve en Robert Pattinson un vecteur absolument parfait. Charriant derrière lui tout ce que TWILIGHT et son statut embarrassant de star à minettes peuvent avoir de plus représentatif du système, le comédien livre une prestation dantesque, mécanique, désincarnée, comme s’il avait arpenté le plateau en dehors de son corps. Il donne ainsi à COSMOPOLIS sa plus belle qualité : le non-dit affleurant discrètement sous les tonnes de dialogues. A mesure du récit, la démarche, le phrasé, le visage de Pattinson se détendent, Packer réalisant peu à peu la liberté et la jouissance qu’il tire de sa chute. La subtilité résidant dans le mystère suivant : a-t-il orchestré sa déchéance ou en tire-t-il seulement parti ? Cette ambiguïté, Pattinson en est quasiment le seul créateur, et prouve définitivement que l’on pourra compter sur lui dans le futur. COSMOPOLIS propose donc une démonstration assez brillante, redoutablement construite, mais cinématographiquement raide et peu partageuse. Si bien qu’il est parfois difficile d’avoir la moindre prise sur le film, et que l’on y reste désespérément extérieur. Peut-être que, tout simplement, l’avoir présenté en toute fin de festival, après un flot d’images et d’informations, était un choix aussi malin pour asséner son propos que peu pertinent pour nous permettre d’en jouir pleinement. Espérons que les prochains visionnages, nécessaires, rectifieront la donne…

De David Cronenberg. Avec Robert Pattinson, Juliette Binoche, Paul Giamatti. USA. 1h45. Sortie le 25 mai

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