Cannes 2012 : REALITY / Critique

19-05-2012 - 00:12 - Par

De Matteo Garrone. Sélection officielle, en compétition.

Synopsis : Au cœur de Naples, Luciano est un chef de famille exubérant qui exerce ses talents de bonimenteur et de comique devant les clients de sa poissonnerie et sa nombreuse tribu. Un jour, poussé par ses enfants, il participe sans trop y croire au casting d’une émission de télé-réalité. Dès cet instant, sa vie entière bascule, déformée par le prisme de la téléréalité : plus rien ne compte désormais, ni sa famille, ni ses amis, ni son travail ni même la petite arnaque imaginée par Maria, son épouse, qui améliorait un peu leur ordinaire. Le rêve de devenir une personnalité médiatique modifie radicalement son destin et celui de tout son entourage.

Quatre ans après l’excellent et dérangeant GOMORRA, voilà donc le retour de Matteo Garrone. Après la mafia, il tête cette fois une autre mamelle de la louve italienne : la religion. Mais pas celle que l’on croit. Pas celle du dimanche matin, de l’hostie et du Vatican. Non. Celle du petit écran, du miroir aux alouettes de la célébrité et de l’émission ultra populaire « Grande Fratello », déclinaison transalpine du « Big Brother » ayant donné naissance chez nous à « Loft Story ». Encore une sujet fort, sans doute moins coup de poing a priori que celui de GOMORRA, mais l’occasion parfaite pour disséquer de nouveau avec fracas la société italienne et/ou berlusconienne. Garrone suit donc Luciano, poissonnier grande gueule qui s’inscrit au casting de « Grande Fratello ». Alors qu’il ne le fait au départ que pour faire plaisir à ses enfants, il se prend au jeu. Et attend alors fébrilement le coup de fil qui lui annoncera son engagement. Totalement obsédé, il sombre peu à peu dans une folie douce, aveuglé par ce que l’émission pourra lui apporter : célébrité et richesse.

On ne fera pas durer le suspense aussi longtemps qu’un Benjamin Castaldi un soir de finale de « Secret Story » : non, REALITY n’est pas à la hauteur du choc fourni en 2008 par GOMORRA. Il s’avère même plutôt décevant. Tout simplement parce que Matteo Garrone, en diluant trop son récit, finit par étouffer son propos. Alors qu’il le circonscrit parfaitement dans un premier acte définissant avec brio les enjeux dramatiques et sociologiques, il sombre peu à peu dans un schéma narratif extrêmement redondant. Car, dès lors que l’on comprend, au bout de 30 minutes de métrage, que Luciano n’intègrera jamais la Maison, c’est toute la sève de REALITY qui se dévoile à nous : la télé comme opium ultra addictif du peuple, concurrente évidente de la religion, et la célébrité comme source de tous les dérapages et de toutes les pertes de repères. Certes, l’enjeu est de taille, et le sujet passionnant. Mais, déroulée sur deux heures superfétatoires, la démonstration manque d’impact.

On ne peut toutefois pas s’empêcher d’apprécier la somme de cinéma que Garrone fait infuser dans son film. Mise en scène inventive et en perpétuel mouvement, hommages transparents (mais réussis) à Fellini, notamment via le score d’Alexandre Desplat, personnages truculents : REALITY regorge de qualités qui, si elles ne permettent pas à la mayo de prendre, et à la charge d’être suffisamment puissante, permettent au moins à Garrone de mettre sur pied une étude de personnage redoutable. Luciano, incarné par un acteur amateur superbe, Aniello Arena (aujourd’hui en prison…), fait partie de ces personnages comme seul le cinéma italien sait en produire. A la fois acteur et victime de sa propre existence, cet anti-héros en forme de clown désenchanté suffit à donner toute sa substance à REALITY.

De Matteo Garrone. Avec Aniello Arena, Loredana Simioli, Nando Paone. Italie. 1h50. Sortie en août.

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