Cannes 2012 : MYSTERY / Critique

17-05-2012 - 15:15 - Par

De Lou Ye. Sélection officielle, Un Certain Regard, film d’ouverture.

Synopsis : Lu Jie est loin d’imaginer que son mari Yongzhao mène une double vie, jusqu’au jour ou elle le voit entrer dans un hôtel avec une jeune femme.
 La vie de Lu Jie s’effondre alors, et ce n’est que le début… Car la maîtresse de son mari meurt renversée par une voiture peu de temps après. Le policier en charge de l’affaire refuse de croire à un accident.

Interdit de tourner pendant cinq ans par les autorités chinoises à la suite du polémique UNE JEUNESSE CHINOISE – présenté à Cannes en compétition en 2006 –, Lou Ye n’a pas courbé l’échine. Après le tournage en mode guerilla de NUITS D’IVRESSE PRINTANIERE – lui aussi en compétition à Cannes en 2009 –, puis un exil aux Etats-Unis et en France (ayant donné lieu à LOVE AND BRUISES avec Tahar Rahim), son cinéma a néanmoins évolué sous la pression, et dans MYSTERY, se fait plus frontal, moins contemplatif. Non pas qu’il abandonne ce qui était déjà au centre de ses précédents films : la passion amoureuse contrariée, explorée via des prismes politiques et sociaux.

Mais en suivant une femme découvrant la double vie de son mari, Lou Ye lorgne presque vers le thriller. De l’intime, certes. MYSTERY se déroule toutefois dans une certaine urgence et une vivacité de mise en scène hautement percutante. Suivant ses héros du quotidien sous une pluie battante, caméra à l’épaule, avec en toile de fond une mégapole aussi vivante qu’inhumaine, il offre à MYSTERY un décor étouffant et fascinant, qu’il filme comme si leur vie amoureuse était un polar pulp. Il faut voir ainsi comment Lou Ye découpe et monte une des scènes centrales du récit : l’accident de la route mortel subit par une des maîtresses du héros masculin. Ouvrant le film, cette séquence se dévoile tout d’abord de manière nerveuse, à la troisième personne. Puis plus tard, lorsque le cinéaste explicite les minutes ayant précédé l’accident, et nous le remontre du point de vue de la victime, la scène se fait plus planante et douloureuse, par la grâce d’un ralenti ahurissant de beauté et de maîtrise. Rien que pour ces deux instants pétris de cinoche, MYSTERY s’impose comme l’un des meilleurs films de Lou Ye.

Ses ressources ne se limitent toutefois pas à sa beauté plastique, puisque MYSTERY se penche sur un phénomène quasi ancestral et de nouveau très prégnant en Chine actuellement : celui des concubines. Loin d’un reportage de « 7 à 8 » ou « Enquête exclusive », Lou Ye dissèque ce secret sociétal d’alcôve sans clichés ni paternalisme, et préfère se concentrer sur les sentiments complexes qui assaillent le mari, sa femme, et sa concubine. Une recherche de densité psychologique et émotionnelle qui donne lieu à des moments dramatiques intenses, des charges érotiques primaires, et des instants de pure cocasserie. On regrettera donc que Lou Ye ne soit pas parvenu à condenser davantage son récit : en se penchant, sans les fouiller vraiment, sur des personnages secondaires de l’intrigue, il dilue trop son propos, et nuit au rythme et à la force du film. Ce qui n’empêche pas MYSTERY d’être un convaincant portrait par l’humain de la Chine d’aujourd’hui, entre perte des repères moraux et bouleversement des mœurs. Un portrait qui, à bien des égards, rappelle de façon troublante celui de n’importe quel pays occidental.

De Lou Ye. Avec Qin Hao, Hao Lei, Qi Xi. Chine. 1h30. Prochainement

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