L’ÉTRANGE POUVOIR DE NORMAN : Laika, la petite boîte qui monte / Interview de Travis Knight

21-08-2012 - 17:26 - Par

Ancien technicien du stop-motion devenu directeur général du studio Laika, Travis Knight (fils du fondateur de Nike) défend son dernier bébé, L’ÉTRANGE POUVOIR DE NORMAN, et sa place dans l’industrie de l’animation trustée par Disney, Pixar et Dreamworks. Un statut d’outsider auquel il tient.

Interview parue dans Cinemateaser Magazine n°16 de juillet/août 2012 

Laika est profondément lié à la ville de Portland. Pourquoi rester dans l’état de l’Oregon et ne pas être au coeur de l’industrie à Los Angeles ou à New York ?

Cela fait partie de notre identité. Nous sommes indépendants, nous nous consacrons uniquement à l’animation et la fabrication de films audacieux. Nous ne sommes mus que par la vision de nos artistes. À la tête de Laika, il n’y a pas de moguls d’Hollywood ou de cols blancs d’une banque d’investissements. Nous sommes une bande d’artistes. Portland a la même vibration que Laika. C’est un centre urbain progressiste, à la frontière entre le Canada et les États-Unis, et elle attire des talents avec qui nous sommes ravis de travailler. On est très heureux là-bas, excentré par rapport à l’agitation.

On imagine que la moyenne d’âge des gens qui travaillent pour Laika est jeune. Vous-même, vous n’avez pas 40 ans…

Je dirais plutôt que c’est un savant mélange de gens expérimentés et de jeunes talents. C’est ainsi qu’on obtient une dynamique intéressante. D’un côté, on a les vétérans qui ont un grand savoir et de l’autre, les novices qui n’ont que faire des contraintes (Rires.) Regardez, à la réalisation, Chris Butler – qui a également écrit le script – est tout frais dans le métier, mais il a mis en scène aux côtés de Sam Fell qui, lui, a déjà dirigé des films d’animation (notamment SOURIS CITY, ndlr).

Vous avez débuté en tant qu’animateur. N’est-ce pas frustrant d’être devenu producteur et de ne plus avoir les mains dans le cambouis ?

Je les ai encore ! Ça a été un véritable défi de trouver l’équilibre entre les deux aspects de mon métier, au fur et à mesure que mes responsabilités au sein de la compagnie grandissaient. Je me suis dit : ‘Ok, peu importe à quel point je dois m’occuper du business de Laika, je dois rester dans la créativité, car c’est ça qui m’a plu, à la base, dans ce métier’. Tous les jours, j’étais sur le plateau, à faire le boulot pour les prises de vue, et puis je m’arrêtais, je courais à une réunion de production pendant une heure et je redescendais. Puis je repartais, discuter du marketing… Avoir un pied dans chaque ‘monde’ m’enrichit énormément. Un animateur ne se concentre que sur son travail au risque d’en oublier la globalité du projet et, être un exécutif me permet de ne jamais la perdre de vue. Et à l’inverse, lorsque j’ai ma casquette de producteur, je n’oublie jamais que le but de Laika est d’abord artistique.

Combien de personnes ont travaillé sur L’ÉTRANGE POUVOIR DE NORMAN ?

Ça dépend de quel stade de la production on parle. Mais au plus, nous étions environ 330. Les départements sont assez petits. Si on prend le département des animateurs, il y a 20 à 25 personnes. C’est très peu pour une production d’animation mainstream. Sur une animation en CGI, cela peut grimper jusqu’à 100. Nous, nous voulons concentrer le travail sur une petite équipe car chacun se sent alors plus investi.

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Bien sûr. L’idée reçue, c’est qu’une animation en stop motion coûte cher car tout doit être littéralement construit pour être filmé, mais c’est faux. Notre budget représente une petite partie de celui d’un long-métrage en CGI.

Il est de combien ?

(Rires.) Je peux juste vous dire que la différence est très significative.

Avec la production de CORALINE, Laika a été l’une des premières compagnies à parier sur la 3D pour un film d’animation. En quoi pensez-vous que le stop-motion est propice au relief ? Les volumes ?

Tout à fait. Lorsque nous avons décidé d’utiliser la 3D comme un moteur du récit de CORALINE, c’est parce que nous voulions trouver l’équivalent de ce qu’avait apporté la couleur au MAGICIEN D’OZ, lorsque Dorothy change de monde. Nous avons fait le choix de la 3D sur CORALINE dès les prémices de la production et cela fait maintenant 7 ans. Ça n’avait jamais été fait sur le stop-motion mais nous avons vite pensé que ce serait un moyen intéressant de dramatiser les sentiments de Coraline. Tout comme le choix d’une focale ou l’éclairage d’une scène, le relief doit être un outil narratif. Et c’est vrai que notre genre d’animation est adéquat à la 3D : contrairement à l’animation CGI où rien n’existe vraiment, chez nous, tout est réel et déjà en trois dimensions. Le relief permet d’apporter encore plus de profondeur. Il ne faut pas réduire la 3D à un gadget pour balancer des trucs au visage des gens. Au contraire, elle doit envelopper le spectateur et le ramener dans le film.

Vous consentiez vous-même à dire que Laika est encore un outsider dans l’industrie de l’animation. Dans quel sens ?

Outre le fait que nous soyons indépendants, nous avons une perspective différente des autres studios. Nous voulons explorer des thèmes plus audacieux, plus intenses et peut-être plus noirs. Pourtant, nous ne dérogeons pas spécialement à la grande tradition des dessins animés Disney, avec PINOCCHIO ou BLANCHE NEIGE, des films particulièrement sombres. Je trouve ça dommage que l’animation moderne tende à polir cela et à vouloir calibrer ses produits pour les enfants. Avec CORALINE et L’ÉTRANGE POUVOIR DE NORMAN, nous montrons qu’on peut explorer des thèmes plus adultes, tout en usant d’un storytelling très riche. Ça ne les empêche pas d’être chaleureux. Ceci dit, Laika ne doit pas se répéter. Nous ne voulons pas que les films se ressemblent visuellement ou qu’ils soient basés perpétuellement sur le même style.

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Êtes-vous anxieux de voir débarquer bientôt le FRANKENWEENIE de Tim Burton, lui aussi réalisé en stop-motion mais produit par Disney ? Laika était devenu le grand espoir dans ce secteur…

(Rires.) Disons que j’aime l’idée que le stopmotion devienne populaire. J’en suis fan et je me réjouis qu’il soit désormais reconnu comme un art à part entière. Je ne peux pas contrôler ce que les autres studios font, je ne suis pas Maître de l’Univers malheureusement. Le mieux que je puisse faire, c’est garantir que Laika raconte de bonnes histoires d’une merveilleuse manière. Regardez : NORMAN est radicalement différent de PIRATES ! des studios Aardman (réalisé en stop-motion mais en pâte à modeler, ndlr) ou il est tout aussi différent de FRANKENWEENIE. Je n’ai pas vu le film de Tim Burton, je n’ai vu que les bandes annonces. Mais si vous regardez les trailers de FRANKENWEENIE et ceux de NORMAN, vous pouvez noter deux sensibilités artistiques et deux visions distinctes. Je crois que chez Disney, ils ne feront jamais des films comme nous les faisons : ils ne le veulent probablement pas. Et moi, je n’ai pas envie de produire un film Disney. Donc…

Vous avez récemment produit une publicité pour Sony, réalisée par Wes Anderson, qui, en plus d’avoir été diffusée à la télévision, a fait le tour du Net. C’est important, ce genre de ‘coup’ pour faire connaître Laika ?

Nous avons deux divisions dans la société. L’une consacrée aux longs-métrages et l’autre, aux spots publicitaires ou aux clips. Et dans cette dernière, nous faisons tous types d’animations : à la main, en stopmotion, en CGI. Pour ce qui est de ce spot en particulier, nous connaissions un peu Wes Anderson du temps où il préparait FANTASTIC MR FOX car il était question, à un moment, que nous le fassions avec lui. Ça n’a pas marché mais nous avons des amis en commun. Notamment Tristan Oliver, qui a été chef opérateur sur MR FOX et sur NORMAN, et Nelson Lowry, également production designer de nos deux films. Donc une collaboration éventuelle s’est présentée, nous avons sauté dessus. Et c’est vrai que ce genre de productions amène de la visibilité à la compagnie.

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Vous allez produire l’adaptation du roman jeunesse ‘Goblins’ de Philip Reeve. Mais il était question d’adapter ‘Wildwood’, écrit par le leader de Decemberists, Colin Meloy. C’est quoi, votre prochain projet, alors ?

(Rires.) Nous avons plusieurs projets en développement actuellement. ‘Goblins’ et ‘Wildwood’ sont en effet deux livres dont nous avons les droits et sur lesquels nous travaillons. Mais comme lorsque nous produisons CORALINE et NORMAN, nous avons deux vocations chez Laika : produire des adaptations et produire des films originaux. Les acquisitions de livres font l’objet d’annonces officielles, mais les idées originales, nous ne les claironnons pas. Je pense que nous annoncerons notre prochain projet dans le trimestre et qu’il devrait sortir d’ici deux ans.

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