Pour son premier film au sujet délicat, Rufus Norris se paie les excellents Tim Roth et Cillian Murphy, et révèle la très douée Eloise Laurence.
Critique publiée durant le Festival de Cannes, où le film a été présenté à la Semaine de la Critique
Skunk a 11 ans et la maladie (elle est sévèrement diabétique) lui a forgé un sacré caractère. Elle est un peu adulte, éveillée et très curieuse du monde qui l’entoure, mais c’est évidemment encore une enfant, couvée par un père largué par sa femme et ainsi, protégée de toute violence. Pourtant, elle va y être confrontée de plein fouet : son voisin, Rick, un garçon étrange, va se faire tabasser par un voisin, Mr Oswald, dont la fille l’accuse de viol. Un petit mensonge qui va enflammer cette toute petite impasse populaire dans lequel se tassent les maisons des trois familles. Sans parler d’effet papillon, la situation va se durcir provocant, de petits incidents en accrochages verbaux, une situation délétère que va mal appréhender l’innocente Skunk. C’est ainsi que BROKEN est construit : en une spirale vers le drame, grâce à une tension crescendo et une accélération du récit. C’est le premier long-métrage de Rufus Norris, plus connu pour ses pièces et ses opéras. Il adapte là l’un des romans de Daniel Clay sur scénario de Mark O’Rowe, auteur du script du drame BOY A (avec Andrew Garfield), déjà pas bien guilleret dans son état des lieux des chances de rédemption dans l’Angleterre des bourgades. Et si le néo-réalisateur s’en tire haut la main dans le traitement des personnages, la sensibilité avec laquelle il aborde calomnie, suspicion de pédophilie, sexe chez les adolescents et symbiose entre père et fille (pêle-mêle), il verse parfois dans l’effet de manche visuel, comme si chaque plan devait être un événement. Un excès de zèle au risque de gaver le spectateur d’images ou de joliesse gratuite. Et si l’esthétisme (sur)travaillé permet au film de ne pas tendre vers le pathos crasse et d’injecter un peu d’air dans ce récit grave, il peut paraître un peu maniéré. Ce qu’on peut aisément mettre sur le dos de l’inexpérience et de l’excitation provoquée par l’apprivoisement du médium. Surtout qu’ancien collaborateur de Damon Albarn à l’occasion de l’opéra « Doctor Dee », Rufus Norris s’est laissé griser par la musique de l’ancien leader de Blur, qui a composé pour l’occasion une partition irritante, oscillant entre la petite pop et la ritournelle. Reste que, malgré les fausses notes, BROKEN est fort des prestations de Tim Roth et Cillian Murphy, aussi émouvants dans l’espiègle légèreté que dans le profond questionnement. Et puis, notons que la jeune fille incarnant Skunk, Eloise Laurence, tient la dragée haute à ces messieurs, conférant à ce film surprenant une énergie rayonnante.
De Rufus Norris. 1h30. Avec Eloise Laurence, Cillian Murphy, Tim Roth. Sortie le 22 août
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