LINCOLN : Chronique

29-01-2013 - 10:29 - Par

Plus qu’un brillant biopic, un splendide autoportrait du conteur exalté qu’a toujours été Steven Spielberg. Indispensable.

Admirateur d’Abraham Lincoln depuis son enfance, Steven Spielberg lui avait donné une place de choix dans IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN, par l’entremise d’une lettre qu’il avait adressée en 1864 à la mère de cinq soldats de l’Union morts au combat. Lincoln, ou une personnalité légendaire dont les idées abolitionnistes menèrent à la guerre de Sécession. Avec LINCOLN, projet de biopic qu’il chérit et développe depuis plus de dix ans, Steven Spielberg a enfin l’occasion de se consacrer pleinement à l’une de ses idoles, mais aussi de faire oublier AMISTAD, film sur l’esclavage critiqué pour sa rigidité et son manque d’incarnation. Plutôt que de viser l’exhaustivité, le script de Tony Kushner (MUNICH) circonscrit le récit aux quatre derniers mois de la vie du président, et à ses manœuvres pour modifier la Constitution, abolir l’esclavage et mettre fin à la guerre Civile. LINCOLN s’érige alors en véritable traité de politique sur les sacrifices requis par l’Histoire et le progrès, fort d’une narration emballante et souple, pourtant constituée exclusivement de longues scènes dialoguées. Bien que biopic, LINCOLN retrace donc avant tout la ratification d’un amendement historique. C’est par ce prisme que Spielberg dresse le portrait du président, décrit ses idéaux autant que ses contradictions, en refusant systématiquement l’hagiographie. Symbole, certes, Abraham Lincoln demeure ici humain, pétri de faiblesses, rongé par la mort d’un fils et par les conflits qui l’opposaient à son aîné, embarrassé par une vie de couple parfois conflictuelle. « Tu crains plus maman que ma mort », lui lance ainsi son rejeton Robert (Joseph Gordon-Levitt). Par le truchement de la grande Histoire faisant la petite, Spielberg réussit là où beaucoup ont échoué : livrer un biopic incarné, pétri de grand cinéma, d’enjeux réalistes, embrassant l’ellipse et les non-dits, refusant l’effusion sentimentaliste et s’appuyant sur des performances au-delà des superlatifs de Daniel Day-Lewis et Tommy Lee Jones (en Thaddeus Stevens, député abolitionniste et égalitariste). Leur interprétation, frénétique et emphatique ou gracile et discrète, permet à Spielberg d’abattre sa plus belle carte. Ici, Abraham Lincoln se plaît autant à écouter son peuple qu’à raconter des petites histoires signifiantes, drôles, humanistes, captivantes. Dans ces moments de grâce où Spielberg prend le temps de suspendre son récit et de donner à son héros le droit d’exister au-delà de son statut d’icône, LINCOLN surpasse son statut d’œuvre politique sur le pouvoir de l’oralité pour devenir une poétique et enchanteresse ode au storytelling. En somme, un autoportrait du cinéaste, dans lequel les conteurs changent le monde.

De Steven Spielberg. Avec Daniel Day-Lewis, Tommy Lee Jones, Sally Field. États-Unis. 2h29. Sortie le 30 janvier

 

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