Cannes 2013 : A TOUCH OF SIN / Critique

16-05-2013 - 21:33 - Par

De Jia Zhang Ke. Sélection officielle, en compétition.

Synopsis (officiel) : Dahai, mineur exaspéré par la corruption des dirigeants de son village, décide de passer à l’action. San’er, un travailleur migrant, découvre les infinies possibilités offertes par son arme à feu. Xiao Yu, hôtesse d’accueil dans un sauna, est poussée à bout par le harcèlement d’un riche client. Xiao Hui passe d’un travail à un autre dans des conditions de plus en plus dégradantes. Quatre personnages, quatre provinces, un seul et même reflet de la Chine contemporaine : celui d’une société au développement économique brutal peu à peu gangrenée par la violence.

Depuis une quinzaine d’années, Jia Zhang-Ke fait partie des jeunes auteurs chinois les plus révérés. Son cinéma marginal, quasi inconnu en son pays, porté sur un réalisme forcené, en a fait un habitué des festivals de Venise et de Cannes, où il a conquis la presse européenne. Il revient sur la Croisette avec A TOUCH OF SIN, trois ans après y avoir présenté I WISH I KNEW à Un Certain Regard et cinq ans après son dernier passage en compétition avec l’éprouvant 24 CITY. Une chose frappe dès la première scène, incroyable : on ne pourra reprocher à Jia Zhang-Ke de ne pas chercher à se renouveler. Certes, il filme de nouveau des régions chinoises – et donc des populations – généralement ignorées par le cinéma local, et se penche sur ces zones rurales ou industrielles qui, en coulisses, participent de la grandeur économique de la Chine, au mépris du confort de leurs habitants. Mais ici, Jia Zhang-Ke abandonne quelque peu son naturalisme lancinant pour livrer une chronique acerbe et frontale où la violence tient une place prépondérante. Les cinq premières minutes de A TOUCH OF SIN, sorte de séquence mi-hard boiled mi-cartoonesque où un travailleur fusille ses agresseurs sans la moindre sommation, laisse envisager le meilleur. Et si, en prenant le taureau par les cornes et en saisissant les problèmes de son pays par le col, Jia Zhang-Ke se révélait un tout nouveau cinéaste ? On aurait aimé que A TOUCH OF SIN le confirme totalement, mais la démonstration ne se fera que par instants fugaces. Découpé en quatre segments s’intéressant chacun à des personnes diverses, venant de régions opposées de Chine et sombrant tous dans la violence – ou faisant face à elle – A TOUCH OF SIN s’avère trop inégal pour convaincre totalement. On se délecte du premier épisode, où le réalisateur suit un mineur énervé souhaitant dénoncer les malversations de ses patrons. Ce travailleur râleur, sorte de Don Quichotte mû par une énergie folle et une asociabilité hilarante offre les meilleurs moments au film, et rappelle un certain Takeshi Kitano. Pas franchement étonnant, puisque le Japonais coproduit A TOUCH OF SIN via sa société Office Kitano. Malheureusement, les trois segments suivants ne sont pas toujours à la hauteur : bien sûr, ils comportent tous de purs moments de grâce – le film est globalement une splendeur esthétique –, des élans dramatiques poignants ou des effusions de violence terrifiantes, mais ils semblent tous courir après la quasi perfection du segment introductif. Surtout, A TOUCH OF SIN, en souhaitant dénoncer ce qui gangrène la Chine actuelle, finit par livrer un long pensum quelque peu didactique. De la marchandisation de la femme en objet sexuel à celle de l’homme en chair à canon industrielle, de la mort de la culture chinoise à la négation de son héritage, tout y passe pour dénoncer au forceps la transformation contre-nature du pays par le capitalisme triomphant. Certaines scènes sombrent même dans le grand ridicule pamphlétaire, comme celle où le riche client d’un sauna fouette le visage d’une femme avec sa liasse de billets en la traitant de salope. Sic. Une charge qui déborde sans aucun doute de sincérité mais dont la narration, qui va du bancal au franchement ennuyeux, manque de rigueur pour ne pas tomber dans la complaisance – le film dure 2h15. A TOUCH OF SIN, malgré ses atours de grand exposé n’en demeure pas moins une expérience de cinéma salutaire, ne serait-ce que pour son caractère inédit : qui, aujourd’hui, ose filmer ainsi la Chine ?

De Jia Zhang Ke. Avec Zhao Tao, Jiang Wu, Wang Baoqiang, Luo Lanshan. Chine. 2h18. Prochainement.

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