Toronto 2013 : SOUTHCLIFFE / Critique

08-09-2013 - 10:02 - Par

De Sean Durkin, avec Eddie Marsan, Sean Harris, Rory Kinnear. Special Presentations.

Applaudissons en premier lieu l’audace du jeune réalisateur américain Sean Durkin : après son premier long-métrage, le très réussi MARTHA MARCY MAY MARLENE (sélectionné à Sundance et Cannes), il aurait pu continuer sur sa lancée, se laisser bercer par son statut de nouvelle révélation de la sphère indé américaine. Mais a décidé de traverser l’Atlantique pour diriger en Angleterre SOUTHCLIFFE, mini-série produite et diffusée par Channel Four. Une mini-série de 4×50’ projetée à Toronto sous la forme d’un seul et même long-métrage de plus de 3 heures. Une présentation d’un seul tenant ne posant pourtant aucun problème : en effet, SOUTHCLIFFE joue moins sur une structure épisodique très ancrée dans le genre série que sur un brouillage narratif faisant tomber toutes les barrières de linéarité. Ici, le récit se conte de manière erratique, au mépris de toute chronologie, en multipliant flashbacks, flashforwards, retours sur un même événement mais depuis différents points de vue, sauts dans le temps etc. Une construction grâce à laquelle Durkin et le scénariste Tony Grisoni (déjà aux commandes de la fantastique trilogie RED RIDING) perdent volontairement le spectateur, le projettent au cœur d’une scène ou d’un nœud dramatique alors à l’apogée de sa tension, et l’empêchent d’avoir immédiatement prise sur la temporalité d’une séquence. Une manière assez brillante, et parfaitement maîtrisée par le duo, de plonger SOUTHCLIFFE dans une imprévisibilité totale. Cette sensation de ne jamais savoir ce que nous réserve le récit s’avère particulièrement adéquate puisqu’ici, Durkin et Grisoni relatent comment une petite ville anglaise subit un matin d’automne les assauts aléatoires d’un « mass murderer », un tireur fou tuant toute personne qui croise son chemin. À bien des égards, autant dans son sujet que dans sa facture, SOUTHCLIFFE rappelle donc ELEPHANT de Gus Van Sant. SOUTHCLIFFE présente toutefois une originalité loin d’être anodine : que la mini-série soit dirigée par un Américain en terre anglaise, rappelle avec force que le phénomène tragique des « mass murders » n’est pas une spécificité étasunienne. SOUTHCLIFFE ouvre ainsi de nouvelles pistes de réflexion : même si la libre vente des armes facilite les « mass murders » aux USA, elle ne peut en être l’unique raison. C’est l’atout de cette délocalisation au Royaume-Uni : elle permet d’étudier les autres facteurs à l’origine de ces tragédies. Et en premier lieu la désagrégation du tissu social et des relations humaines au sein d’une même communauté où humiliations, désintérêt pour autrui, isolement physique et psychologique peuvent autant mener un individu à sombrer dans la folie meurtrière que ses congénères à ne pas voir les signes avant-coureur de cette déliquescence morale. Une déliquescence bien ancrée dans les fondations de nos sociétés modernes. SOUTHCLIFFE s’ouvre ainsi par ce dialogue évocateur : « Je viens de cet endroit. Une petite ville anglaise endormie. Les gens ne commettent pas de ‘mass murder’ ici. C’est une communauté soudée, respectueuse de la loi, faite d’âmes simples. Des gens bien. C’est ce que dit votre télé. Est-ce vraiment ce que vous croyez être ? Ce n’est pas ce dont je me souviens. Ce n’est pas ce que je vois aujourd’hui. » Une diatribe lancée, en plein duplex, par un reporter (superbe Rory Kinnear, contrit et vindicatif) revenant dans son village natal pour couvrir la tuerie. Et de là, SOUTHCLIFFE de dérouler tout d’abord les destins de divers personnages d’un point A jusqu’à la tuerie puis les conséquences de cette dernière sur leur existence. Le tout pour décrire la vraie personnalité de cette communauté, dans toute sa cruauté, sa violence, sa paranoïa, ses non dits. Ses blessures et sa beauté, aussi. Durant plus de trois heures, Grisoni et Durkin ne laissent aucun répit au spectateur, explorant toujours plus avant la noirceur de l’âme humaine, sa lutte contre l’adversité et ses penchants mortifères, ses contradictions morales. SOUTHCLIFFE n’est pas une œuvre simple d’accès. Mais elle se révèle aussi ambitieuse que bouleversante, roide et dérangeante. De quoi confirmer tout le bien que l’on pensait de Sean Durkin qui, comme dans MARTHA MARCY MARLENE, se penche sur une thématique complexe avec une précision austère (tirant parti avec brio de décors naturels brumeux et rugueux) et un refus délibéré de délivrer des réponses toutes faites forcément insatisfaisantes. Espérons donc que SOUTHCLIFFE atteindra les salles de cinéma ou les ondes françaises très prochainement.

De Sean Durkin. Avec Eddie Marsan, Sean Harris, Rory Kinnear, Shirley Henderson, Anatol Yusef, Kaya Scodelario. Royaume-Uni. 3h10. Prochainement

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