Toronto 2013 : PHILOMENA / Critique

09-09-2013 - 11:02 - Par

De Stephen Frears. Avec Judi Dench, Steve Coogan. Special Presentations.

Les cinéastes que l’on affectionne sont comme de vieux amis. L’avantage des vieux amis : ils ne mettent jamais longtemps à se racheter après nous avoir décus. À peine sorti de LADY VEGAS et de MUHAMMAD ALI’S GREATEST FIGHT – ce dernier, vu à Cannes en mai dernier, avait été un immense désappointement –, Stephen Frears nous revient à Toronto avec sa nouvelle réalisation, PHILOMENA, inspirée d’une histoire vraie. Irlande, 1952 : Philomena Lee (Sophie Kennedy Clark), encore adolescente, tombe enceinte. Considérée comme une femme perdue, envoyée au couvent, elle y est employée en échange des soins dispensés à son fils, Anthony. À l’âge de trois ans, celui-ci lui est arraché et confié à un couple qui l’adopte. Philomena va passer des années à essayer de savoir ce qu’il est devenu. Quand, octogénaire (Judi Dench), elle rencontre Martin Sixmith (Steve Coogan), ancien grand reporter à la BBC, et qu’elle lui raconte son histoire, ce dernier se décide à l’aider. Sortons les mouchoirs et les violons ? Loin de là. La réussite de PHILOMENA réside justement dans son refus absolu du pathos, de l’émotion facile, du tire-larmes. Certes, le film confronte le public à des émotions dévastatrices, à une cruauté révoltante, à des injustices et des coups du sort déchirants. Car tout ceci constitue bel et bien le destin de Philomena Lee. Mais Stephen Frears et ses scénaristes Jeff Pope et Steve Coogan ont l’intelligence d’offrir à cette histoire bouleversante un écrin débordant de vie, de chaleur et de complicité. L’opposition entre la simplicité de Philomena – Judi Dench, superbe et déjà assurée d’une nomination à l’Oscar – et le cynisme de Martin Sixsmith – un pur personnage ‘cooganien’ – crée en effet une dynamique de comédie imparable. Quand l’une lance, sans avoir l’air d’y toucher, des répliques crues qu’on n’imaginerait jamais dans la bouche d’une grand-mère (« À l’époque, je ne savais pas que j’avais un clitoris »), l’autre assène des vannes d’une sécheresse hilarante ou des tirades vindicatives toujours pertinentes. PHILOMENA se poserait presque en buddy movie mais là encore, il parvient à désamorcer toutes les ficelles prévisibles du genre : jamais, Philomena ou Martin ne vont changer au contact de l’autre. Ils ne font qu’être eux-mêmes, ils assoient leur personnalité – ils ont passé l’âge de s’améliorer ou de se remettre en question – et ce réalisme psychologique ancre PHILOMENA dans une sincérité évidente. Il lui donne des élans emballants. Surtout, en insufflant à cette histoire un humour aussi alerte – un tour de force –, Frears, Pope et Coogan rappellent que l’existence, le quotidien se nourrissent de toutes les émotions. Que les émotions se nourrissent toutes les unes des autres. Les portraits de Philomena et de Martin n’en sont que plus justes et touchants. Et lorsque l’histoire se fait encore plus tragique, ce qui sonnerait comme de la manipulation dans un film moins maîtrisé apparaît ici comme un aboutissement logique. Bien sûr, en rapportant la véritable histoire de Philomena Lee, Stephen Frears ne signe pas « uniquement » une comédie dramatique. Il pousse sa réflexion plus avant et explore avec férocité les fautes et contradictions de l’Eglise catholique (à la manière d’un Peter Mullan dans le sublime THE MAGDALENE SISTERS), sans pour autant porter le moindre jugement sur l’attachement de chacun à sa foi. « L’Eglise Catholique devrait se confesser, pas vous », dit ainsi Martin à Philomena. Mais non : là où Martin, usé par les compromis, est dévoré par la colère, Philomena reste droite dans ses bottes, refusant tout ressentiment. Tant de grâce concentrée en quatre-vingt dix minutes : un miracle assez rare.

De Stephen Frears. Avec Judi Dench, Steve Coogan, Sophie Kennedy Clark. Grande-Bretagne. Sortie le 8 janvier 2014

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