Toronto 2013 : 12 YEARS A SLAVE / Critique

11-09-2013 - 10:45 - Par

De Steve McQueen. Avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender. Special Presentations.

Comment aborder au cinéma une Histoire douloureuse dont les cicatrices ne se sont pas refermées ? Comment filmer l’infilmable ? Des questions qui se posent inévitablement pour 12 YEARS A SLAVE, qui conte la véritable histoire de Solomon Northup. Homme libre, mari et père de famille à l’existence plutôt cossue, il est un jour de 1841 abordé par deux hommes lui proposant un court contrat de violoniste dans un cirque à Washington. Ses deux potentiels employeurs vont en fait le droguer, l’enchaîner et le vendre en esclavage. Alors comment filmer l’infilmable ? Frontalement, brutalement, sans détour : voilà les réponses de Steve McQueen. À peine 12 YEARS A SLAVE a-t-il débuté que le réalisateur établit une atmosphère redoutablement oppressante. Quelques plans établis avec discrétion et laissant entrevoir ce que seront le cœur et la moelle de son film. Cette tension, McQueen ne va jamais la faire retomber, avec en arme première la précision chirurgicale de sa mise en scène : un sound design dévastateur illustre le réveil de Northup dans sa nouvelle geôle – lui qui s’était endormi en homme libre –, le cadre nie sa présence du champ et son existence la première fois qu’il tente de se défendre devant ses tortionnaires, prières et chants racistes se superposent, le score de Hans Zimmer va du symphonique à la musique bruitiste… Chaque séquence terrible ou révoltante pourrait traduire le credo même de 12 YEARS A SLAVE : un film qui déborde d’une rage parfaitement contrôlée, incapable de se libérer. Derrière sa caméra et dans chacun de ses plans, Steve McQueen semble hurler d’une colère sourde nourrissant son regard sur l’horreur. La torture physique, la chair ravagée, le harcèlement moral, la peur, la déshumanisation, la négation de l’identité, l’impossibilité pour Solomon et ses compagnons de s’entraider sous peine de représailles sanglantes : McQueen ne fléchit devant rien et se confronte – et le spectateur avec – à tout, sans compromis. 12 YEARS A SLAVE refuse tout sentimentalisme et, paradoxalement, y gagne une force émotionnelle exceptionnelle : comme cette fureur qui contamine chaque plan sans jamais s’extérioriser totalement, les larmes du spectateur restent sèches. Jamais ne parviendraient-elles à atténuer les émotions suscitées par le film. L’expérience de cinéma proposée par Steve McQueen est douloureuse, insoutenable. Lorsque Solomon Northup (incarné par un Chiwetel Ejiofor extraordinaire) plonge ses yeux dans ceux du public en un regard caméra d’une beauté indicible, McQueen ne se pose même pas en accusateur. Tout juste rappelle-t-il qu’à défaut de nous juger, l’Histoire nous observe pour nous éviter de réitérer ces horreurs passées, pour nous encourager à corriger celles du présent.

De Steve McQueen. Avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Lupita Nyong’o, Benedict Cumberbatch. États-Unis. 2h13. Sortie le 22 janvier 2014

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