Toronto 2013 : ENEMY / Critique

11-09-2013 - 11:29 - Par

De Denis Villeneuve. Avec Jake Gyllenhaal, Sarah Gadon, Mélanie Laurent. Special Presentations.

Adam (Jake Gyllenhaal), professeur à l’université, loue un film conseillé par un collègue. Là, dans une scène, il remarque au second plan un acteur lui ressemblant trait pour trait. Intrigué, il va rechercher l’identité de son doppelgänger. La situation dérape quand les deux hommes se rencontrent… Impossible d’en dire plus sur ENEMY. Il serait en effet difficile de le résumer, tant il s’avère nébuleux (dans le bon sens du terme) et gorgé de fausses pistes et détours. En dire plus, ce serait donc en dire trop. Alors que le nouveau Denis Villeneuve (tourné avant PRISONERS, lui aussi projeté à Toronto) fait justement partie de ces films se dévoilant par touches intimistes et impressionnistes, par la grâce d’une ambiance opaque mêlant habilement songe et réalité en un ballet dont il est difficile de décoder les tenants et les aboutissants. Cette sensation d’assister à un cauchemar éveillé est prégnante à chaque scène d’ENEMY, où les rues de Toronto sont souvent désespérément vides, où les personnages s’expriment avant tout par silences ou par langage corporel – leur agressivité sexuelle notamment. Villeneuve convoque aussi bien l’étrangeté lynchienne (on pense surtout à LOST HIGHWAY) que la folie polanskienne (RÉPULSION, notamment) et bâtit un thriller psychologique dont le spectateur peine à détenir vraiment les clés. Comme le signifie la phrase d’accroche ouvrant le film – « Le chaos est un ordre qui n’aurait pas encore été déchiffré » – ENEMY s’affiche heurté dans sa narration, jouant avec la linéarité du récit, la chronologie des événements. Là réside sans doute la clé du mystère qui entoure le destin d’Adam et de son double parfait Anthony – campés par un Jake Gyllenhaal prouvant encore un peu plus l’étendue de sa palette et la précision de son jeu. À chacun de remettre de l’ordre dans les éléments pour que se dévoile un semblant d’ordre. Là réside aussi la puissance du propos de Villeneuve qui, de métaphores en allégories, explore les rapports de force et de pouvoir entre Homme et Femme, mais aussi les doutes et appréhensions du premier à l’égard de la vie de couple. Mais ici, qui est réellement le prédateur ? Qui subit réellement les assauts sauvages de l’autre ? Sans doute que chaque spectateur aura son interprétation d’ENEMY et de sa fin hautement surprenante – et totalement flippante. Jusqu’au-boutiste dans son ambiguïté, ENEMY va loin, très loin, dans le malaise et pour cette raison, risque de perdre bon nombre de spectateurs. Mais quiconque se laissera embarquer dans ce voyage d’une noirceur redoutable aura du mal à s’en départir.

De Denis Villeneuve. Avec Jake Gyllenhaal, Sarah Gadon, Mélanie Laurent. Canada / Espagne / France. 1h30. Prochainement.

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