INSIDE LLEWYN DAVIS : chronique

06-11-2013 - 13:47 - Par

Les frères Coen nous offrent un grand film sur les affres d’un artiste sans concessions et sans carrière. Et révèlent au grand public Oscar Isaac, l’un des meilleurs acteurs de sa génération.

INSIDE LLEWYN DAVIS démarre sur de grossiers bruits de fourchettes. Au sein du Gaslight Café, établissement où la scène folk du Village vient se produire au début des années 60, Llewyn Davis (Oscar Isaac) va entonner une reprise de « Hang me, Oh Hang me », un titre légendaire d’une morbide mélancolie. Dès les premières notes grattées sur sa guitare, le silence se fait, solennel. Avec ses quelques accords, l’artiste captive l’auditoire. Problème : dans la vie, les disques de Llewyn (avatar fictionnel du chanteur Dave Van Ronk, voir p.68) ne génèrent pas un kopeck et le jeune homme, sur la paille, doit, pour survivre à sa passion, squatter le canapé de confrères plus chanceux ou de riches New-Yorkais. Les frères Coen vont alors retracer l’odyssée d’un garçon qui transcende la musique dans une industrie qui ne veut que la vendre. Llewyn ne parvient pas à cerner ce qui le sépare de la célébrité. Ou du moins de la reconnaissance du grand public. Et si on l’accuse d’être « le frère raté du roi Midas » pour son aptitude à transformer « tout ce qu’il touche en merde », il est pourtant de ces artistes qui changent de vieux airs désuets en chefs-d’œuvre et révèlent quelque chose de profond dans l’âme humaine, de quasi religieux. Il n’empêche. Socialement, il est nul. Amoureusement, encore plus. Dans INSIDE LLEWYN DAVIS, tout est discrète sophistication. L’humour surgit au détour d’une chanson un peu bête, dans un bref élan de grossièreté, dans un personnage qui passe pourrir l’ambiance, dans l’incrédulité d’un homme qui s’entête à aller au devant de l’échec. Ses pérégrinations sont comme une comédie bougonne, construite en cercle fermé, sur le foutu destin. Les Coen n’ont pas besoin de forcer le trait. Il leur suffit de bien agencer leurs scènes, de cadrer avec la minutie qui les caractérise et de tout plonger dans un grand stoïcisme pour provoquer le rire. Mais jamais ils n’accablent ni ne méprisent leur anti-héros : ils l’observent dans ce qu’il fait de mieux, à savoir chanter (c’est un sacré storyteller dès qu’il se saisit de son instrument) et tout foirer. Ils l’enveloppent de lumières cotonneuses (le chef opérateur Bruno Delbonnel fait un travail épatant), lui offrent le luxe de finir tous ses morceaux – c’est un film musical –, laissent le spectateur goûter longuement à son talent et à celui de son interprète, Oscar Isaac, au brin de voix et au charisme tellement séduisants. Dans toute sa bienveillance et à l’image de la plus authentique des folk songs, INSIDE LLEWYN DAVIS est d’une tendresse folle. Une déclaration d’amour vache aux losers magnifiques.

De Joel et Ethan Coen. Avec Oscar Isaac, Carey Mulligan, Justin Timberlake. États-Unis / France. 1h45. Sortie le 6 novembre

 

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