ALL IS LOST : chronique

11-12-2013 - 10:02 - Par

En confrontant un homme seul aux tumultes de l’océan, J.C. Chandor s’affirme comme l’un des cinéastes les plus audacieux et talentueux de sa génération.

L‘adage veut que les meilleurs auteurs dirigent perpétuellement le même film. Peu importent les genres qu’ils abordent, les esthétiques qu’ils embrassent. Avec son deuxième long-métrage, J.C. Chandor confirme cette croyance, bien que MARGIN CALL et ALL IS LOST ne puissent être plus différents. Là où le premier s’affichait prolixe et nerveux, bercé par le ronron d’une cité frénétique, le second se révèle quasi muet, voguant sur l’immensité de l’océan. Chandor conte pourtant dans les deux cas une histoire de crise – morale dans MARGIN CALL, physique dans ALL IS LOST – et de sa gestion. Un homme (Robert Redford, prodigieux), seul en mer, constate qu’un container vomi par un cargo a embouti son voilier et percé la coque. Le compte à rebours commence. Contrairement à Alfonso Cuarón et GRAVITY – autre confrontation d’un individu à sa mortalité et aux éléments –, J.C. Chandor refuse tout spectaculaire dans la quête de survie. Voir Our Man – comme il est nommé dans le générique – faire preuve d’un calme inaltérable, réparer la paroi de son bateau ou profiter d’un coucher de soleil restera comme l’un des moments les plus déroutants et fascinants de l’année. Ainsi, ALL IS LOST ne daigne aller là où on l’imaginerait : jamais le héros ne se parle à lui-même, rarement sombre-t-il dans la colère. Aucun flash-back pour explorer son passé, que l’on ne construit que par la grâce de rares détails. Une caractérisation de personnage impressionniste et élusive, honorant l’imagination et les émotions du spectateur. Le stoïcisme de cet homme menacé de mort par l’océan Indien en devient forcément universel, d’autant qu’il est observé avec un tact immense par le réalisateur. Collant sa caméra à Our Man, à hauteur de regard, évitant les plans larges, Chandor balaie l’idée d’un « œil narratif » omniscient qui ferait de son héros le pantin d’un récit manipulateur. Le point de vue d’Our Man est roi. La minutie de la mise en scène – source d’une quasi-télépathie avec le plaisancier et permettant de comprendre toutes ses émotions et tous ses actes –, le travail redoutable sur le son, la brutalité esthétique des scènes de tempête font de ALL IS LOST l’une des expériences les plus douloureusement immersives jamais vues. De cette plongée dans la psyché d’un homme rejetant son trépas, Chandor tire une fable spirituelle déchirante sur la condition humaine et sur une civilisation devenue folle où chacun ne peut qu’errer seul face au marasme. « Je suis désolé. J’ai essayé. D’être vrai, d’être fort, d’aimer », dit Our Man dans la voix off introductive. « Être vrai, être fort, aimer », tel devrait être notre credo à tous et tel est celui d’ALL IS LOST, œuvre exceptionnelle qui traversera le temps comme une peinture illustrant comme peu d’autres la grandeur de l’âme humaine.

De J.C. Chandor. Avec Robert Redford. États-Unis. 1h46. Sortie le 11 décembre

 

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