NYMPHOMANIAC – VOLUME 1 : chronique

01-01-2014 - 11:58 - Par

En dépit de la censure et des coupes, le premier volet du diptyque de Lars von Trier s’avère d’une richesse cinématographique et d’une densité émotionnelle indéniables.

Evacuons immédiatement l’énorme problème de ce NYMPHOMANIAC – VOLUME 1. Un problème que, de surcroît, l’on ne peut reprocher à Lars von Trier lui-même. Le film débute par un carton sentencieux : « Vous allez assister à la projection d’une version coupée et censurée du film NYMPHOMANIAC de Lars von Trier. Ce montage a été finalisé avec l’approbation du cinéaste mais sans autre implication de sa part. » Ouch. Le suspense est éventé : le NYMPHOMANIAC distribué en salles ne sera donc pas la version graphique imaginée par le cinéaste danois, mais bien celle érotique et tout public. Le director’s cut – 5h30 en deux parties et visuellement pornographique – attendra. Le souci ? Si l’on comprend parfaitement que pour obtenir des financements, Von Trier ait dû accepter ce compromis – censurer, raccourcir et sortir son film en deux parties – il est impossible de ne pas en remarquer les limites. Le spectateur, frustré de ne pas assister à la vision définitive de l’auteur, ne peut qu’imaginer toute la puissance cinématographique et émotionnelle qu’un montage d’un seul tenant, et sans censure graphique, aurait donné. Pourtant, ce NYMPHOMANIAC – VOLUME 1 tronqué et à peine érotique n’a rien d’un spectacle lisse et rond dépourvu de vigueur. Loin de là. Moins « terroriste » et jusqu’au-boutiste qu’ANTICHRIST, moins dépressivement renfermé sur lui-même que MELANCHOLIA – les deux derniers grands films de Von Trier –, moins esthétiquement virtuose, NYMPHOMANIAC débute par un long écran noir, dont n’émerge que de subtils bruits de ricochets de pluie. Avant que l’image se joigne au son, en un plan d’exposition étiré, que Von Trier finit par pirater avec un bon vieux morceau de Rammstein. Une introduction on ne peut plus claire : NYMPHOMANIAC n’aura rien de bêtement exhibitionniste, ne souhaite pas nous plonger dans une vulgarité rapace, mais entend livrer une expérience sensorielle envoûtante dont le cerveau et les tripes de chaque spectateur seront les décodeurs. Explorant la confusion des genres (entre sexe et amour, profane et sacré, artificiel et sublime), Lars von Trier nous mène à suivre une femme, Joe (Charlotte Gainsbourg), qui se dit nymphomane et conte son destin à Seligman (Stellan Skarsgard). De son enfance à son adolescence puis à son passage à l’âge adulte, Joe est ici moralement disséquée de manière aussi poignante que froide, avec autant d’humour que de gravité. Le tout via un récit usant de toutes les astuces de storytelling possibles : découpage en chapitres, illustrations visuelles incongrues et surlignées donnant au film l’aspect d’un petit précis clinique, cruauté comique, allégories à la limite du grotesque – rehaussant la trivialité du regard que l’on peut porter sur l’existence tragique de Joe –, redondances volontaires comme métaphore de l’enfermement de Joe dans sa névrose… Sans compter la beauté du mécanisme narratif principal : un conte oral rappelant autant une confession qu’une séance de psychothérapie où les deux parties, Joe et Seligman, se découvrent eux-mêmes dans la confrontation à l’autre. Une maîtrise formelle qui, en dépit de l’ambiance menaçante et de la noirceur psychologique de l’ensemble (le chapitre DELIRIUM est de ce point de vue d’une intensité imparable), ne prend jamais le spectateur bassement en otage. Se dégage même de ce NYMPHOMANIAC une grâce étrange et indéfinissable, une douceur mélancolique transmise avec élégance par des acteurs remarquablement dirigés – mention spéciale à la surprenante débutante Stacy Martin et à Shia LaBeouf. Désormais, reste à savoir si NYMPHOMANIAC – VOLUME 2, annoncé comme plus extrême et heurté, saura conclure le voyage comme il se doit. À savoir dans l’hystérie destructrice du climax puis dans le calme guérisseur du lâcher prise, propres à toute vraie psychothérapie.

De Lars von Trier. Avec Charlotte Gainsbourg, Stacy Martin, Stellan Skarsgard, Shia LaBeouf. Danemark / France / Allemagne. 1h50. Sortie le 1er janvier.

 

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