12 YEARS A SLAVE : chronique

22-01-2014 - 10:46 - Par

L’Anglais Steve McQueen adapte les Mémoires de Solomon Northup, un afro-américain né libre dans l’Amérique du XIXe siècle, kidnappé et réduit à l’esclavage. Un film ultraviolent.

Si Steve McQueen est connu pour être un homme austère, son cinéma n’est pas plus aimable a priori. En deux films, HUNGER (chronique de la grève de la faim de l’activiste irlandais Bobby Sands au début des 1980’s) et SHAME (portrait d’un sex-addict), il s’est imposé comme le réalisateur des corps malades, de la bataille psychologique qu’un homme peut livrer via le déclin charnel. Plasticien aux œuvres parfois abstraites, il est un cinéaste étonnamment offensif et agressif, qui impose des visions inconfortables. Même si 12 YEARS A SLAVE marque ses premiers pas dans le cinéma US – il est ici produit par Brad Pitt, qui joue également dans le film –, impos- sible pour McQueen d’assagir son style : il l’entérine, le martèle. Peut-être est-ce le fait qu’il soit anglais, qu’il s’efforce d’avoir un regard distancié avec le sombre thème de l’esclavage dont le souvenir afflige encore le pays de la liberté, mais jamais, ici, il ne succombe à l’académisme. Petites natures, s’abstenir. État de New York, 1841 : Solomon Northup (Chiwetel Ejiofor) est noir, mais libre, dans une patrie qui prospère sur l’exploitation sauvage de son prochain. Il a donc une certaine chance, pourrait-on dire. Sa famille, aisée, éduquée, en est-elle consciente ? Un soir, Solomon dîne avec des gentilshommes. On parle de musique, des arts du spectacle. Et puis c’est le black-out. Solomon se réveille enchaîné, dans l’obscurité. Il y a erreur, argue-t-il avec effroi. Mais les coups de fouet vont lui faire entendre raison: il est désormais réduit à l’état de servitude. Envolée la famille, fini le libre arbitre, terminée l’estime de soi, tout ce qu’il avait pris pour des acquis n’était en fait qu’un malentendu. Il va devenir le Noir sur lesquels ces Blancs ont l’ascendant et expérimenter tout le spectre de l’esclavagisme. Les propriétaires pleins de mansuétude mal placée (Benedict Cumberbatch) à qui il pardonne trop rapidement ; les contremaîtres (Paul Dano) qui chantonnent des hymnes racistes le sourire aux lèvres ; les maîtres qui battent, qui violent et qui tuent (Michael Fassbender). Tous, animés d’un délire divin, le dépossèdent de son humanité avec plus ou moins de violence. Il va devoir survivre avec le peu qui lui reste –un corps qui tient vaguement, un brin de fierté qui fane lentement. La réduction à l’état de rien, c’est ce que filme McQueen, face caméra. Et même s’il faut, pour cela, fâcher le spectateur, avec de longs plans sur un homme agonisant, pendu dans un jardin dans lequel s’amusent des enfants et évoluent des esclaves insensibles ou impuissants face à la mort. On peut taxer le réalisateur de complaisance quand il filme la torture en plan-séquence, mais pourquoi ne pas montrer l’horreur telle qu’elle a été ? Son film a un regard franc. Jusqu’au casting, où McQueen utilise chaque acteur pour l’évidence de ce qu’il dégage : la noblesse du visage d’Ejiofor, l’arrogance de Fassbender, l’étrange sympathie de Cumberbatch. Même Brad Pitt, star intouchable et héraut de la solidarité, devient ainsi le vecteur d’un progressisme lumineux. 12 YEARS A SLAVE est un mélange stupéfiant de sophistication et de pragmatisme, un film qui met chacun face à l’horreur de la nature humaine et son endurance, toute aussi effrayante parfois. L’expérience, terroriste, est souvent désagréable, mais elle est d’une intensité inédite.

De Steve McQueen. Avec Chiwetel Ejiofor, Benedict Cumberbatch, Michael Fassbender. États-Unis. 2h15. SORTIE LE 22 JANVIER

 

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