LA CRÈME DE LA CRÈME : chronique

02-04-2014 - 09:10 - Par

Kim Chapiron signe un campus movie made in France absolument brillant, beaucoup moins trash que littéraire.

« Sexe, pouvoir et grandes écoles. » Avec son sujet façon reportage racoleur du dimanche soir, LA CRÈME DE LA CRÈME sentait bon la chantilly bien lourde. On imaginait déjà combien le réalisateur de SHEITAN et DOG POUND s’en donnerait à cœur joie dans la description façon « trash-décadence » d’une jeunesse dorée vue comme une « sale petite brochette de fils et filles à papa ». Les premières minutes de LA CRÈME pourraient nous donner raison. Chapiron filme l’arrogance et l’impunité des élèves d’une grande école de commerce qui célèbrent leur règne à venir dans une frénésie de fête et d’alcool. Rien de nouveau sous le soleil du cliché. Pourtant, très vite, il se détourne et va chercher celle qui, dos au mur, regarde ce monde de biais: Kelliah (formidable Alice Issaz) ne danse pas. Son regard, froid et direct, scrute les faits et gestes, décode et détaille le comportement de ces « futurs rois du monde ». La caméra se fait plus précise et sur les riffs d’une chanson à la mode, décompose les us et coutumes et la hiérarchie de cette microsociété, montrée comme une faune sauvage. Difficile alors de ne pas penser aux « Lois de l’attraction » de Bret Easton Ellis et à son adaptation par Roger Avary. Mais aux lois du désir, Chapiron substitue celles du marché. Tout s’achète et tout se vend, y compris le regard des autres. De ce constat très balzacien, Chapiron fonde un long-métrage étonnamment littéraire qui applique à la lettre les préceptes et compétences de petits génies du commerce. On craint alors le cynisme à filmer ainsi un réseau de prostitution comme une théorie capitaliste. Mais à l’aigreur d’un Rastignac, Chapiron préfère la douceur de Bel-Ami. Comme Maupassant, il raconte avec précision mais empathie un système de désir et d’attente qui régirait le monde. La cruauté et la frustration ne sont jamais loin. Mais ici pas de leçon de morale. Juste des règles de plus. Il faut alors saluer l’excellence et la rigueur de l’écriture, qui offre à ses trois jeunes comédiens une partition à la fois précise et romanesque. Chapiron raconte avec beaucoup de tact un monde qui a l’avantage et le malheur de comprendre si bien la façon dont il tourne. Dans la bouche de ces corps encore immatures, cette sagesse du CAC 40 prend une dimension romantique insoupçonnée. « Splendeurs et Misères d’un idéal », voilà un programme qu’il n’est tous les jours donné de voir dans le panorama français. Qu’il vienne d’un jeune réalisateur qu’on n’attendait pas dans ce cinéma-là donne une leçon de relativité et de préjugés qui sied parfaitement à ce film aussi habile que retors.

De Kim Chapiron. Avec Alice Issaz, Thomas Blumenthal, Jean-Baptiste Lafargue. France. 1h30. SORTIE LE 2 AVRIL

 

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