NOÉ : chronique

09-04-2014 - 09:42 - Par

Darren Aronofsky donne vie au projet de ses rêves et réalise un grand film épique et tonitruant. Au-delà du postulat biblique, il raconte la sempiternelle destruction de l’humanité et sa résurrection.

Il fallait bien un budget de 150 millions de dollars à Darren Aronofsky pour concrétiser son entreprise un peu folle, presque mégalo : raconter à sa manière et à grands renforts d’effets spéciaux l’histoire de Noé. Avec comme carte de visite une BD lorgnant clairement vers la fantasy (« Noé », publiée aux Éditions du Lombard), le réalisateur de THE FOUNTAIN repense ce court épisode de la Bible et, peu importent les textes, conjecture un spectaculaire combat entre le péché et la vertu. Noé a des visions, dans lesquelles Dieu lui communique son dessein : puisque l’Homme est devenu corrompu, Il va créer le Déluge et l’exterminer. Mais Noé va devoir sauver un couple de chaque espèce animale en leur construisant une arche, dans laquelle embarqueront également sa femme Naameh (Jennifer Connelly), ses fils Japhet (Leo McHugh Carroll), Cham (Logan Lerman) et Sem (Douglas Booth), ainsi que Ila (Emma Watson), promise à Sem. Tout ça pour que la Terre redevienne un lieu sain et moral, propice à la procréation. Sous les traits d’un Russell Crowe habité, le patriarche entreprend d’accomplir sa mission mais un homme peut-il ne pas ployer sous le poids d’une telle responsabilité ? Comment assumer d’être le bras armé de Dieu dans le jugement dernier? Affluent vers lui des milliers d’hommes et de femmes qui veulent réchapper aux crues mortelles, menés par Toubal-Caïn (Ray Winstone), roi perverti. Et Noé, le vertueux, d’être seul contre tous quand s’abat sur Terre la colère divine. NOÉ a plusieurs visages : celui d’un pamphlet écolo où le héros biblique, à la tête d’une famille nomade, prône – de manière très insistante, on le concède – le respect du vivant et fuit les sauvages descendants carnivores de Caïn ; c’est aussi une fable en clair-obscur utilisant les préceptes théologiques pour raconter la nature humaine et son autodestruction compulsive, sa nécessité vitale de saisir les deuxièmes chances, d’apprendre de ses erreurs. De manière plus pragmatique, Darren Aronofsky orchestre la confrontation entre le libre arbitre et le fanatisme. Ici, Dieu est une figure de terreur, il frappe dans un chaos visuel et sonore inouï et NOÉ, déjà doté de personnages à la force dévorante, se transforme en un film d’épouvante, bruyant, à la musique (signée Clint Mansell, fidèle à Aronofsky) ténébreuse et puissante. À chaque goutte de pluie présageant du désastre, les interprétations se font plus théâtrales, le film se fait plus électrisant, galvanisant. Les uns invoquent Dieu avec désespoir, les autres le rejettent avec rage. On se sent fébrile face à ces cris surnaturels et au caractère définitif du message d’un Aronofsky lapidaire. Autrement moins abscons que THE FOUNTAIN, NOÉ n’est pas moins illuminé, ni moins baroque. Avec ses atours parfois naïfs et ses images un peu kitsch qui lui confèrent une jolie fragilité, cette fresque philosophique grandiloquente contient le parfait dosage de mauvais goût pour prouver qu’Aronofsky a le courage de diviser et les certitudes des grands réalisateurs. Au-delà de la portée bouleversante du film, il y a quelque chose de terriblement émouvant à être témoin d’une œuvre si riche qu’elle semble totale.

De Darren Aronofsky. Avec Russell Crowe, Jennifer Connelly, Ray Winstone. États-Unis. 2h18. SORTIE LE 9 AVRIL

 

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