Cannes 2014 : THE SEARCH / Critique

21-05-2014 - 13:57 - Par

De Michel Hazanavicius. Sélection officielle, en compétition.

Synopsis : Le film se passe pendant la seconde guerre de Tchétchénie, en 1999. Il raconte, à échelle humaine, quatre destins que la guerre va amener à se croiser. Après l’assassinat de ses parents dans son village, un petit garçon fuit, rejoignant le flot des réfugiés. Il va rencontrer Carole, chargée de mission pour l’Union Européenne.  Avec elle, il va petit à petit revenir à la vie. Parallèlement Raïssa, sa grande sœur, le recherche activement parmi l’exode des civils. De son côté, Kolia, jeune russe de 20 ans, est enrôlé dans l’armée. Il va petit à petit basculer dans le quotidien de la guerre.

Monté très haut (trop haut ?) avec THE ARTIST, Michel Hazanavicius risque de connaître avec THE SEARCH une dégringolade publique et critique à la fois méritée et injuste. Sur le papier, ce projet avait du panache et de l’ambition. Hazanavicius, le cinéaste rigolard à concept, « miraculeusement » oscarisé, a eu l’intelligence avec ce mélodrame sur la guerre en Tchétchénie de ne pas se laisser enfermer dans la case où on l’attendait. Rien que pour cela, THE SEARCH mérite une forme de respect. C’est toujours un peu vaseux de louer un film pour sa « sincérité », comme si on remettait un bon point au cinéaste. Pourtant, c’est ce qui sauve THE SEARCH de l’antipathie la plus totale. Hazanavicius croit profondément à son sujet et se lance tête baissée, la fleur à la caméra, dans les soubresauts de l’horreur de la guerre. Hélas, le film se voudrait mal-aimable, il est juste très maladroit. Indéniablement, le réalisateur possède un véritable sens de la mise en scène et de l’espace. Il y a du cinéma dans THE SEARCH. Dommage qu’Hazanavicius cherche tout le contraire. Quand on s’affronte ainsi au mélodrame, il faut savoir être opératique, ne pas lésiner sur l’artifice pour réussir à faire céder les barrières du cynisme et qu’enfin l’émotion éclate. De manière quasi incompréhensible, le cinéaste de THE ARTIST s’est débarrassé pour ce film de tout son sens du spectacle. Peut-être par contrition ou respect pour le sujet grave. Dommageable erreur que de penser que dans le « mélodrame concerné », seule la puissance du sujet suffit. Alors oui, ce que raconte THE SEARCH est terrible et Hazanavicius ne lésine pas sur les plans de décombres et de cadavres. Sa caméra constate et souligne l’horreur en permanence alors qu’elle devrait peut-être davantage la questionner et la mettre en scène. Le récit, inutilement complexe, croit formuler un propos par la diversité des points de vues. Ce n’est pourtant pas la fonction du mélodrame qui devrait, au contraire, nous emporter malgré nous. La corde sensible, tant redoutée, disparaît ici au profit d’une forme de regard pseudo-objectif qui semble vouloir mettre le public face à sa propre conscience. L’effet culpabilisant et émotionnel n’en est que plus pénible et raté. Rien ne vient construire l’émotion. Elle est jetée, comme cela, à la face du spectateur en croyant que le réalisme brut sert de leçon. Par un effet retors, cette manière de coller au réel rend le film totalement lourdingue. La faute à des dialogues qui, tout en voulant imiter une forme de détachement et de banalité « réalistes », ne cesse d’asséner à longueur de tirades les conclusions humanistes que le spectateur devrait tirer. Evidemment, les bonnes intentions sont là et encore une fois, elle sauve le film du naufrage. Pendant un temps, on a l’impression qu’Hazanavicius va faire de Carole, la représentante des Droits de l’Homme, un personnage antipathique. Froide, pressée, elle incarnerait alors une certaine bureaucratie qui sévit impuissante au cœur de ces conflits. Là, le temps d’une scène d’affrontement entre Annette Benning (en bonne âme militante) et Bérénice Bejo, le film trouve une cohérence entre sa forme faussement brute et une certaine forme de colère. Mais bien vite, le film retrouve ses marques et s’embarque dans un final romanesque totalement raté qui réduit chaque personnage féminin à une mère potentielle. Ce schématisme, couplé à la découverte finale de la fonction d’un des fils narratifs jusque-là sibyllin, finit d’achever la bonne volonté du spectateur. La partie sur le soldat, relecture éculée de FULL METAL JACKET, ne sert finalement à Hazanavicius qu’à botter en touche sur la responsabilité du conflit. Que la guerre soit une machine à fabriquer des monstres, encore une fois, nous sommes bien d’accord. Mais l’idée et la réalisation du scénario sont beaucoup trop théoriques pour convaincre. Ce n’est plus de l’émotion, c’est de la démonstration. Dommage car quand le film invente le mélodrame à hauteur d’enfant, il possède une puissance d’évocation et d’émotion plutôt efficaces. Il y a dans ces plans où le jeune héros erre au milieu des décombres quelque chose d’à la fois extrêmement simple et profondément sensible. On sent qu’Hazanavicius a eu peur de faire de la sensiblerie et qu’il a préféré noyer cette partie presque « Dickensienne » de son récit dans tout un tas de circonvolutions politiques et sociales. Peut-être aurait-il dû se contenter de suivre pas à pas la trajectoire de son jeune héros et de faire un film simple, brut, touchant au lieu de viser la grande œuvre. Sur le visage de ce jeune acteur mutique se dessine en reflet les horreurs et la violence du conflit évoqué. On effacera tout le superflu et les précautions malheureuses de THE SEARCH pour ne garder que les grands yeux tristes de ces enfants de la guerre, véritable cœur battant de ce film apathique.

De Michel Hazanavicius. Avec Bérénice Bejo, Annette Bening, Nino Kobakhidze, Nika Kipshidze. France. 2h40. Sortie le 26 novembre.

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