Cannes 2014 : FOXCATCHER / Critique

20-05-2014 - 09:30 - Par

De Bennett Miller. Sélection officielle, en compétition

Synopsis officiel : Médaillés d’or olympique en 1984, Mark et Dave Schultz devraient être au sommet alors qu’ils s’apprêtent à défendre leur titre aux prochains Jeux de Séoul. Pourtant, Mark est licencié de son poste d’entraineur de lutte, tout comme son frère aîné, et il se démène pour s’entraîner seul. Mark retrouve espoir lorsque le philanthrope et millionnaire John du Pont lui propose de rejoindre son club de lutte flambant neuf, situé dans son luxueux domaine de Foxcatcher. Dave tombe lui aussi sous le charme du patriote excentrique, séduit par la perspective de mettre en place la meilleure équipe de lutte au monde. Mais les délires paranoïaques de Du Pont et sa volonté irrationnelle de garantir la victoire des États-Unis à l’étranger vont prendre le pas sur sa générosité et sa bienveillance…

Pour raconter le destin des frères Schultz, champions de lutte, il fallait un film roide, aussi sympathique qu’un coup de cravache. Les visages sont fermés, les dialogues a minima, les corps sont lourds de malaise. Et autant vous dire que si l’écriture et la mise en scène sont du travail de très haut niveau, de la dentelle même, c’est un tour de force dans l’interprétation : sous le joug d’un trio d’acteurs explorant ce qu’il y a de plus sombre dans l’âme humaine, FOXCATCHER est une psychothérapie par la force. Celle de John E. Du Pont, héritier de la plus grande fortune américaine d’alors, qui s’est offert une place centrale dans le milieu de la lutte à grand renfort de fric et de mots doux : il veut que son équipe gagne pour la grande Amérique, il leur fait confiance, ce serait bête de le décevoir. Mark Schultz, personnalité effacée en quête de reconnaissance, va voir en ce mécène, un père de substitution, un frère plus attentif et plus protecteur que son vrai frère Dave. Mais, un peu à la manière dont Liberace aimait l’idée que Scott l’adorait, davantage qu’il n’aimait Scott en lui-même, la relation entre Mark et John est perverse : la domination qu’exerce Du Pont sur son protégé est financière, intellectuelle et oui, sa dimension sexuelle n’est pas négligeable. C’est cet angle qu’explore Miller. Derrière les yeux parfois vides de John Du Pont, derrière les yeux perdus de Mark Schultz, qu’est-ce qui se trame. De l’amour ? De la haine ? Ou alors, un tel mépris pour soi-même qu’aucun mot ne peut l’exprimer. Dans FOXCATCHER, la lutte est une danse charnelle et intime. Entre les frères, il y a la tendresse, mais chez Du Pont, lutteur de pacotille achetant ses victoires, il y a quelque chose qui relève du viol. Comme un Norman Bates trapu et vieillissant, son comportement est hautement oedipien : sa mère, richissime grabataire adorant les chevaux et leur noblesse, n’aime pas bien la lutte, ce sport inférieur d’hommes en spandex. Et elle, elle n’aime pas voir son fils inférieur. Chez Du Pont, il y a tout ce qu’un homme peut ressentir comme frustration sexuelle et tous les stratagèmes et les manipulations qu’un homme peut faire pour les cacher. Dans une Amérique où la domination psychologique de l’argent est une vraie gangrène, où l’excellence est une excuse pour tous les méfaits, où l’on est ce qu’on revendique, les rapports de pouvoir n’ont alors plus rien à voir avec la force. FOXCATCHER n’est donc pas un film de sport – comme LE STRATÈGE ne l’était pas non plus –, mais un thriller mental à faire froid dans le dos. Les plans sont longs, l’ambiance – souvent au silence – est absolument glaçante. Mark Ruffalo est accablé par l’inquiétude, Channing Tatum (bestial et massif) est dévoré par la névrose, et Steve Carell, méconnaissable et toxique, est rongé par la psychose. C’est creepy de bout en bout. Et absolument magistral dans la fascination qu’il génère.

De Bennett Miller. Avec Channing Tatum, Steve Carell, Anthony Michael Hall, Mark Ruffalo. Etats-Unis. 2h10. Prochainement



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