Cannes 2014 : LÉVIATHAN / Critique

23-05-2014 - 14:40 - Par

D’Andrei Zviaguintsev. Sélection officielle, en compétition.

Synopsis officiel : Kolia habite une petite ville au bord de la mer de Barents, au nord de la Russie. Il tient un garage qui jouxte la maison où il vit avec sa jeune femme Lylia et son fils Romka qu’il a eu d’un précédent mariage.
Vadim Sergeyich, le Maire de la ville, souhaite s’approprier le terrain de Kolia, sa maison et son garage. Il a des projets. Il tente d’abord de l’acheter mais Kolia ne peut pas supporter l’idée de perdre tout ce qu’il possède, non seulement le terrain mais aussi la beauté qui l’entoure depuis sa naissance. Alors Vadim Sergeyich devient plus agressif…

Un rivage. Des rochers millénaires. La mer déchaînée. Des vieux navires échoués, stigmates d’un déluge ancien et illustration d’une déliquescence actuelle. Une musique sentencieuse. LÉVIATHAN s’ouvre sur la puissance d’une Nature opératique. Pas étonnant que ces quelques minutes soient d’une force esthétique indéniable : derrière la caméra figure Andreï Zviaguintsev, auteur d’ELENA, LE BANNISSEMENT et LE RETOUR. Malheureusement, sa nouvelle odyssée cinématographique ne tarde pas à décevoir. Avec LÉVIATHAN – référence au traité de contrat social de Thomas Hobbes où l’homme abandonne sa liberté contre la sécurité que lui offre l’Etat –, Zviaguintsev s’engage dans un portrait au vitriol de la Russie. Ici, une administration gangrénée par la corruption, portée sur la violence et l’intimidation, pousse Kolia, un pauvre quidam, à lutter pour la propriété de son terrain. Son ennemi ? Le maire de sa petite ville, figure tout d’abord menaçante (« Le pouvoir, il faut connaître son visage », dit-il) puis au final clownesque et bedonnante. Car le combat absurde et kafkaïen de son protagoniste, Zviaguintsev le fait vite dériver vers le terrain de la comédie burlesque, du ridicule et du grotesque, humour scatologique et grivois à la clé – dans une voiture de police, des icônes religieuses côtoient des images porno. Aucun mal à ce regard ironique et rigolard. Sauf que l’humour développé ici tourne rapidement à vide car même les « héros » sont des idiots qui tirent à la carabine sur des portraits présidentiels de Brejnev ou Gorbatchev (pas de Poutine en vue, évidemment, car on « manque de recul historique »), conduisent ivres morts, trompent leurs maris ou tapent leurs enfants – « je le fais par amour », dit Kolia. Dans la situation que décrit LÉVIATHAN, « tout le monde est coupable de tout ça ». Personne à sauver ? Non. Et ce n’est pas la suite du récit, qui finalement oublie la comédie pour sombrer maladroitement dans la tragédie russe classique – avec émotions tempétueuses, vodka à gogo et intensité bouillonnante de rigueur – qui va arranger les choses. Les sentiments des personnages de Zviaguintsev apparaissent faux, parfois incompréhensibles, évoluant au fil du vent. Si bien qu’il est virtuellement impossible de s’attacher aux personnages, de se passionner pour les enjeux, de réagir au propos du cinéaste. LÉVIATHAN laisse ainsi une désagréable sensation de banalité, voire de sagesse polie. On préfèrera donc revoir MY JOY de Sergeï Loznitsa, présenté à Cannes en 2010 et qui, sur le même sujet de la corruption morale et politique, faisait figure de pamphlet autrement plus puissant, dense et enragé.

D’Andrei Zviaguintsev. Avec Alexei Serebraikov, Elena Liadova, Vladimir Vdovichenkov. Russie. 2h21. Sortie le 24 septembre.

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