Cannes 2014 : LOST RIVER / Critique

21-05-2014 - 07:22 - Par

De Ryan Gosling. Sélection officielle, Un Certain Regard.

Synopsis officiel : Dans une ville qui se meurt, Billy, mère célibataire de deux enfants, est entraînée peu à peu dans les bas-fonds d’un monde sombre et macabre, pendant que Bones, son fils aîné, découvre une route secrète menant à une cité engloutie. Billy et son fils devront aller jusqu’au bout pour que leur famille s’en sorte.

Indiscutablement LOST RIVER était le film le plus attendu au tournant du festival. Après le pénible AS I LAY DYING de James Franco l’an passé, on se demandait bien à quelle sauce on allait pouvoir manger la progéniture filmique de Ryan Gosling. Un acteur qui passe derrière la caméra, c’est souvent suspect pour la presse, surtout si celui-ci se paie l’audace d’être sélectionné dans le plus prestigieux festival de cinéma du monde. On craint le film « buzz », un peu factice, juste bon à remplir joliment le tapis rouge. Arrêtons là les précautions d’usage, LOST RIVER est un choc. On ne s’attendait pas à un tel objet, extrêmement étrange et surtout totalement suicidaire. À se demander si, avec ce récit exsangue et parfaitement hypnotique et cette mise en scène sublimement superfétatoire, Ryan Gosling n’avait pas des envies d’hara-kiri cinématographique. Construit comme une ballade morbide et désespérée dans un Détroit irréel et fantomatique, le film plonge tête baissée dans le formalisme le plus fou et artificiel, au risque du ridicule. Mais justement, c’est parce qu’il ose tout, parce qu’il donne l’impression d’être directement connecté à l’inconscient profond du cinéaste-acteur, que LOST RIVER est un film précieux. À chaque plan, chaque virage formel absolument sidérant du film, on sent combien Gosling joue avec le feu. Dans un équilibre précaire et forcément un peu naïf, il entremêle les visions cauchemardesques de l’enfance avec la poésie des Misfits. Au tout début, on craint que le réalisateur ne nous donne qu’une version follement chic et policée de l’Amérique des bas-fonds. Mais ici le désert urbain de Détroit n’a rien à voir avec notre monde. C’est une ville morte, un cimetière labyrinthique dans lequel s’égare une mère courage, un jeune romantique et une jeune fille en fleur. Ces trois stéréotypes sont malaxés et reformulés par Gosling dans un magma d’images et de sons, passés au tamis de tout un tas de styles cinématographiques ultra référencés. LOST RIVER mixe ainsi l’âpreté étrange d’Harmony Korine, la sophistication weird de David Lynch et l’angoisse formaliste d’Argento. Il va être difficile pour Gosling de se défaire de ces trois figures tutélaires tant le film recycle de manière étonnamment frontale des motifs chers à ces cinéaste. Des immeubles délabrés, des figures défoncées, du glamour macabre, des ombres colorées menaçantes, des anamorphoses, du feu, beaucoup de feu, tout ça et tout un appareillage symbolique bien connu, pullulent dans tous les recoins de LOST RIVER. Mais porté par le génie du chef opérateur Benoît Debie (IRRÉVERSIBLE, SPRING BREAKERS), Gosling réussit à créer un véritable monstre filmique, rejeton stupéfiant de toutes ces influences mêlées. Cette perfection plastique surpasse peut-être un peu un récit trop primitif et nébuleux pour emporter immédiatement. Gosling ne tranche pas entre le conte de fées déglingué ou le cauchemar adouci et cette demi-teinte du fond jure un peu avec le jusque-boutisme de la forme. Il n’empêche que petit à petit, on se laisse véritablement happer par ce film incontrôlable et peut-être incontrôlé. Il y a de véritables visions de cinéma dans ce premier long-métrage bordélique, qui chasse les monstres à grand coup de cauchemar.

De Ryan Gosling. Avec Christina Hendricks, Saoirse Ronan, Ilain De Caestecker, Matt Smith, Reda Kateb, Eva Mendes, Barbara Steele, Ben Mendelsohn. France / Etats-Unis. 1h45. Prochainement

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