Cannes 2014 : BANDE DE FILLES / Critique

16-05-2014 - 19:05 - Par

De Céline Sciamma. Quinzaine des Réalisateurs.

Synopsis officiel : Marieme vit ses 16 ans comme un mur d’interdits. La censure du quartier, la loi des garçons, l’impasse de l’école. Sa rencontre avec trois filles affranchies change tout. Elles dansent, elles se battent, elles parlent fort, elles rient de tout. Marieme devient Vic et entre dans la bande, pour vivre sa jeunesse.

En ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, le troisième long-métrage de Céline Sciamma (NAISSANCE DES PIEUVRES, TOMBOY) a frappé fort. Et ce, dès sa scène d’introduction. Sur une musique à l’énergie communicative, une horde de filles moulées dans leur équipement viril s’affronte au ralenti dans une partie de football américain. Beauté étrange et remuante de cette scène qui, en quelques minutes virtuoses, annonce tout ce qui va suivre. Centré sur le quotidien d’une bande de filles de la région parisienne, le film déjoue nos attentes. Car Sciamma a l’intelligence de dé-territorialiser son regard. Pas de déterminisme social, pas de sociologie explicative. La réalisatrice de TOMBOY préfère décidément les personnages, les vrais, aux simples étendards « communautaires ». Avec empathie et précision, elle filme un quotidien traversé de trouées romanesques, comme un monde où il faut s’inventer pour exister. Chacune de ces filles endosse alors l’identité d’une autre, revêt comme un costume de super-héros, pour affronter le monde. BANDE DE FILLES est aussi bien le récit d’une libération que d’une aliénation. Sciamma, de sa caméra toujours précise et esthète, filme des corps qui cherchent à s’affranchir du regard et des normes, des corps qui provoquent de peur d’être provoqués. Ponctué de longues parenthèses musicales, le film, très organique et physique, écoute les battements de cœur de ces héroïnes qui bien vite se mélangent aux beats de la musique. Parce que Sciamma a confiance en son regard et en son sujet, elle a l’intelligence de ne pas se contenter du Réel qui stigmatise et réduit ses personnages à de simples fonctions. Le film dérape alors souvent vers de longues et belles scènes purement cinématographiques, où l’artifice et le propos se mélangent à merveille. C’est une scène de bagarre qui se transforme en arène 2.0, des retrouvailles à la Défense filmée comme une revue des troupes ou encore un baiser dans un couloir que Sciamma filme comme un aveu. Dans l’une des plus belles scènes du film, la réalisatrice a choisi Rihanna, garçonne provocante,  et son « Diamonds » comme marraine et hymne. Ses héroïnes chantent, dansent, célèbrent leur corps pour se le réapproprier. Sciamma n’efface pourtant jamais la misogynie, la violence et tout ce qui donne mille raisons à ses personnages de vouloir s’évader. Mais elle préfère le pur et simple désir de liberté comme véritable cœur du film. Dommage, alors, que dans une dernière partie, Sciamma s’égare un peu dans une forme de noirceur trop frontale. Son film, énergique et électrique, avait su jusque-là rester pile à la frontière, quelque part entre l’euphorie et l’angoisse de devoir chaque jour se battre pour exister. Un écart de conduite qu’on lui pardonnera vite tant ce film dense et précis déborde de cinéma à tout instant. Si Adèle avait su conquérir le palmarès l’année dernière, sûr que Marieme et ses copines auraient fait cette année en compétition une razzia bien méritée. Dommage pour la compet’, bravo pour la Quinzaine.

De Céline Sciamma. Avec Karidja Touré, Assa Sylla, Lindsay Karamoh. France. 1h52. Sortie le 22 octobre

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