Dossier : DRAGONS 2, de l’idée dans les suites

12-06-2014 - 10:35 - Par

Bill Damaschke, directeur de la création de DreamWorks Animation, nous parlait en mars dernier des enjeux artistiques et commerciaux de DRAGONS 2.

Ce dossier a été publié précédemment dans Cinemateaser Magazine n°32 daté mars 2014.

Derrière l’impératif commercial d’une suite résident nombre de casse-tête – ne pas souiller l’image du premier volet, éviter la redite… – auxquels a été confronté DreamWorks sur DRAGONS 2, sequel d’un de ses opus les plus révérés. Cinemateaser en discute sans détour avec Bill Damaschke, directeur de la création du studio.

« Croyez-moi, cela a apaisé beaucoup de monde quand DRAGONS est sorti, car à cette époque nous étions au début de la production des CINQ LÉGENDES et on a été soulagés de voir que le public acceptait ce changement de style. Tout le monde au sein du studio voulait accomplir cette mue, y compris Jeffrey Katzenberg et Bill [Damaschke]. » Lorsque nous le rencontrions en mai 2012, Peter Ramsey, réalisateur des CINQ LÉGENDES, analysait en ces termes l’impact qu’a eu DRAGONS sur l’image de DreamWorks. Un tournant : selon beaucoup – dont nous –, voilà ce qu’a constitué pour le studio d’animation l’histoire d’amitié entre le jeune Viking Harold et le dragon Krokmou. Une manière pour la major de contredire ceux pour qui ses films se limitaient à une ironie référencée et consciente d’elle-même, et ne pouvaient explorer des émotions complexes et poignantes. Depuis, la firme n’a pas démenti cette mue artistique en alignant, ces deux dernières années, une série d’excellents et iconoclastes projets – LES CINQ LÉGENDES, LES CROODS et TURBO. Pourtant, lorsque nous joignons Bill Damaschke au téléphone, celui-ci tempère l’avis que tant partagent : « En un sens, KUNG FU PANDA fut déjà un tournant pour nous. Il mettait en scène un personnage ‘très DreamWorks’, à savoir un héros improbable et gorgé d’humour. Pourtant, le film était également respectueux du kung-fu et de la mythologie chinoise. C’était un actioner, aussi. Il aurait pu accumuler des tas de références pop, mais ce n’était pas le cas. Quand les gens réfléchissent aux films DreamWorks et à ce qu’ils disent de notre identité, trop oublient certains des attributs qui ont toujours fait le sel de nos productions. Selon moi, DRAGONS et KUNG FU PANDA et nos projets actuels reviennent à ce qu’était SHREK. Bien sûr, SHREK était ironique et irrévérent, on y entendait des pop songs – c’était alors inédit et cela a créé une sorte de modèle que beaucoup ont suivi depuis – mais avant tout, il s’agissait d’une histoire d’amour et d’un conte de fées. SHREK avait du cœur. » Le directeur de la création de DreamWorks concède toutefois qu’il est primordial à ses yeux de « s’assurer que les films aient autant de cœur que d’humour. Parfois, l’humour nécessite des références pop qui servent les personnages et le récit. Dans d’autres cas, comme DRAGONS, ce type d’humour n’est tout simplement pas approprié. Une chose est sûre : nous n’avons pas à choisir entre l’une de ces deux voies et à nous y limiter. » Si l’évolution du ton et du style DreamWorks s’avère donc un poil plus complexe et n’est pas circonscrite à un bond en avant représenté par DRAGONS, impossible de ne pas remarquer la façon dont les films récents de la firme ont saisi le storytelling par les cornes. Avec des opus plus poignants qu’auparavant, plus audacieux aussi, prenant le public à rebours avec des séquences d’une dureté ou d’une puissance narrative folle – un enterrement dans LES CINQ LÉGENDES, un sacrifice volontaire dans LES CROODS, pour n’en citer que deux. Jusqu’au récent M. PEABODY & SHERMAN qui, en dépit de ses défauts (de rythme, notamment), surprend en plaidant pour des modèles familiaux plus diversifiés que celui formé par un père et une mère. « Vous savez, qu’il s’agisse des réalisateurs, des scénaristes, des artistes ou des producteurs, nous sommes tous plus mûrs aujourd’hui, nous explique Bill Damaschke. Nous sommes tous passés par des expériences diverses au cours de nos vies. DreamWorks fête cette année ses 20 ans. Désormais, nous avons des familles, nous avons des enfants qui, [depuis nos débuts au studio], sont partis à l’université, se sont mariés. L’évolution de qui nous sommes en tant que firme et de qui nous sommes en tant que personnes a forcément eu un impact sur l’évolution de notre storytelling. »

Évidemment, DRAGONS n’a pas été qu’un succès critique et ses 500 millions de dollars de recettes dans le monde ont forcément entériné l’idée d’une suite. Alors qu’approche la sortie de ce deuxième volet, se posent les problèmes récurrents des majors hollywoodiennes actuelles : affronter de possibles accusations de manque d’originalité et surmonter le danger de ne pas être à la hauteur du film matriciel. Quand on aborde la question avec Bill Damaschke, il fait preuve d’un pragmatisme guère étonnant, mais à l’honnêteté pourtant désarmante : « Nous sommes chanceux de pouvoir produire des suites car nous travaillons énormément sur nos projets. Nous avons bossé sept ans sur DRAGONS avant qu’il ne sorte en salles. Je ne connais aucun réalisateur chez DreamWorks qui, pendant la confection de son film, dise ‘J’ai tellement hâte d’en finir et de passer à autre chose’. Tous ont plutôt l’habitude de dire ‘J’aime tant ces personnages que j’ai hâte d’avoir l’opportunité de raconter une nouvelle histoire’. Si nous faisons au moins un projet original par an – et en général nous en sortons plutôt deux – c’est une bonne moyenne. Il est toujours bon d’avoir dans notre line-up une suite, un film dont le public a déjà conscience et qu’il attend. Motiver les gens à aller voir un projet totalement nouveau est un plus grand challenge, mais il faut que nous fassions des films originaux, que nous créions des personnages inédits, en espérant qu’ils puissent donner lieu ensuite à des franchises. » La mise en chantier d’un DRAGONS 2 ayant été un « no brainer », ce deuxième épisode se doit, pour convaincre, de ne pas décevoir. De faire mieux. D’être encore plus fort, plus émouvant, plus audacieux. Le lot de toute suite qui se respecte, en somme. Une mission parfois brillamment accomplie par certains mais plus généralement foulée au pied par nombre d’autres. Mais chez DreamWorks Animation, pas de stress, puisque DRAGONS avait dès ses prémices les atours d’un outsider : « Personne n’attendait le premier, nous lance Damaschke. Je vais vous dire mieux: au sein du studio, certains se demandaient pourquoi nous faisions un film de dragons avec pour héros un gamin et des Vikings. Ils pensaient que personne ne voudrait aller le voir ! (Rires.) En quelque sorte, DRAGONS a remis en question ce qui était populaire à l’époque. Quatre ans plus tard, c’est l’inverse : tout le monde attend DRAGONS 2. Nous sommes conscients de ça et cela pourrait être un obstacle, nous paralyser. Mais en fait, pour surmonter cela, il suffit juste de se concentrer. De faire le boulot de la même manière, que le film soit attendu ou pas. » Pour surprendre les fans de DRAGONS, le réalisateur Dean DeBlois et l’équipe de production n’ont rien laissé au hasard : « La première chose que je fais dès que l’on parle d’une suite, explique Damaschke, c’est de tout ramener à ce qu’il y a de plus fondamental : pourquoi on aime les personnages et où l’histoire doit les mener. Dans DRAGONS, le thème du voyage est primordial et cela mène forcément, et en toute logique, à l’exploration de nouveaux territoires, de nouveaux décors, de nouveaux défis, à la découverte de nouveaux méchants et de nouveaux dragons. Grâce aux livres [de Cressida Cowell dont s’inspire la saga], nous disposons d’une riche mythologie. » De quoi permettre à DRAGONS 2 de ne pas tomber dans la redite, ce que souhaitait à tout prix éviter le réalisateur Dean DeBlois. Alors que raconter après l’unification des peuples viking et dragon ? « Dean a immédiatement voulu étudier comment ce monde avait évolué [du fait de cette paix] et lier ce thème à la transition enfance-âge adulte. C’est ce qui l’a mené à effectuer un saut dans le temps et à vieillir Harold de cinq ans pour les deux prochains opus (DRAGONS 3 est déjà en production et formera la deuxième partie du diptyque initié avec DRAGONS 2, ndlr). » Un parti pris audacieux : rares sont les films d’animation mainstream qui font acte des conséquences du temps qui passe de manière tangible, palpable. Ceux qui ont opté pour cette solution se sont toutefois ouverts des portes assez folles de créativité et de profondeur émotionnelle – la trilogie TOY STORY, LÀ-HAUT, LES CINQ LÉGENDES, notamment. « Il nous est apparu qu’avoir un jeune homme de 20 ans était plus excitant et plus dynamique, générait un plus grand sentiment de danger, que de suivre un ado de 15 ans », explique Damaschke.

Cinq ans après les événements de DRAGONS, on retrouvera donc Harold et la Furie Nocturne Krokmou passant leur temps à parcourir les environs de l’île de Beurk en quête de nouveaux mondes. Lors d’une de leurs escapades, ils tombent sur un lieu reculé où résident des centaines de dragons sauvages et l’énigmatique Dragon Rider. Bientôt, gronde un terrible conflit qui pourrait rendre la paix caduque… et durant lequel Harold et Krokmou doivent défendre leurs vies et l’existence de leurs tribus respectives. Un pitch regorgeant de bien des mystères – dont certains ont été malheureusement spoilés dans la récente bande-annonce. Mais une chose est sûre, le cœur de DRAGONS 2, tout comme celui de son prédécesseur, réside dans la relation unissant le jeune Viking Harold à son dragon Krokmou. Une amitié qui, de bien des manières, rappelle celle d’Elliott et E.T. Comme si DRAGONS avait en quelque sorte ressuscité un esprit 80’s, un âge d’or où les divertissements hollywoodiens – disons-le tout net, les films Amblin – usaient de forts sentiments d’identification pour conter des récits extraordinaires. « Dean DeBlois et Chris Sanders (co-réalisateur du premier volet, ndlr) vénèrent les films de cette époque, statue Bill Damaschke. Tout comme moi. En fait, de la relation entre Harold et Krokmou se dégage un grand classicisme. C’est le thème du garçon et de son chien, une histoire qui a été racontée des milliers de fois. Avec DRAGONS, nous avons réussi à la réactualiser et à la transmettre. Les grands chefs-d’œuvre des 80’s, comme E.T., ont été très formateurs pour nous. Ils ont été une inspiration. Avec DRAGONS, nous espérons – espérons seulement – avoir pu à notre tour inspirer une nouvelle génération. » De là à penser que la saga DRAGONS s’est imposée comme le nouveau SHREK de DreamWorks, comme l’étendard de son identité et de ses intentions artistiques actuelles, il n’y a qu’un pas. Que Bill Damaschke hésite tout de même à franchir : « Personne n’aurait pu prévoir ce que représenterait DRAGONS avant qu’il ne sorte. Nos films récents sont tous différents mais tous essaient d’accomplir exactement la même chose : conter des histoires universelles pouvant plaire à un large public. On peut aller les voir avec ses enfants, ses grands-parents ou en couple, peu importe. Et chaque spectateur peut alors voir une partie de soi prendre vie à l’écran. » L’effet DRAGONS : même la note d’intention d’une major devient poétique.

DRAGONS 2, de Dean DeBlois. En salles le 2 juillet. Retrouvez nos interviews de Jay Baruchel et Dean DeBlois dans Cinemateaser Magazine n°35 (en kiosques depuis le 11 juin)

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