Enquête : Lost in translation, do you speak title ?

18-06-2014 - 12:30 - Par

Enquête : Lost in translation, do you speak title ?

Pour les directeurs marketing, traduire le titre d’un film pour le public français peut être un exercice délicat. Et souvent scruté de près. Paramount a ainsi été la cible d’un bashing acharné pour avoir transformé PAIN & GAIN en NO PAIN NO GAIN; Universal sort en juin ALBERT À L’OUEST sous les quolibets ; la Fox a imposé son imprononçable X-MEN : DAYS OF FUTURE PAST. Des choix qui laissent parfois pantois. Or, il y a une raison à tout.

 

Cet article a été publié au préalable dans le magazine Cinemateaser n°35 daté juin 2014

 

PAIN & GAIN devenu NO PAIN NO GAIN, après une valse hésitation de titres fleuris. Intéressant. THE HEAT passé par LES POULETTES avant d’être traduit LES FLINGUEUSES. Étrange. THE PURGE converti en AMERICAN NIGHTMARE. Pas bien original, mais inévitable. Qui a vraiment envie de se farcir LA PURGE au cinéma ? Le titre d’un film, c’est sa vitrine. Pour nous, journalistes, il est impératif – autant que faire se peut – de parler d’un long-métrage en utilisant le titre avec lequel il sera exploité en France : c’est une question de transmission de l’information et d’identification. Alors, à quelques jours de sa sortie chez nous, s’entêter à vous parler de A MILLION WAYS TO DIE IN THE WEST quand les posters du prochain film de Seth MacFarlane seront ornés d’un ALBERT À L’OUEST, serait une bêtise. En revanche, la tentation du STAR TREK 2 au lieu de STAR TREK INTO DARKNESS a été grande. On a même succombé à THE AMAZING SPIDER-MAN 2 quand Sony aurait probablement préféré que la presse use de son très officiel THE AMAZING SPIDER-MAN : LA NAISSANCE D’UN HÉROS. Les réseaux sociaux sont un indicateur de l’efficacité d’un titre. Enfin, non. Ce n’est pas exact. Les réseaux sociaux sont un indicateur du taux de satisfaction à l’égard d’une traduction.
Les services marketing des divisions françaises de certaines majors ainsi que quelques attachés de presse intéressés peuvent apprécier l’immédiateté des retours. Un utilisateur de Twitter n’a qu’à mettre le bon hashtag et le bon compte en copie pour manifester son mécontentement. Par exemple : « Ils ont fumé chez @paramountfr pour traduire #JackRyanShadowRecruit en #TheRyanInitiative ? #tropnul #lecinemacetaitmieuxavant ». Un autre ? « En France #xmendaysoffuturepast devient #xmendaysoffuturepast. Pas trop fatigués @20thCFox_FR ? » Avouons-le, nous-mêmes avons joué à ce jeu-là en manifestant nos doutes sur la traduction de TO THE WONDER en À LA MERVEILLE… jusqu’à ce qu’on admette que, même si la traduction littérale du titre du Malick n’était pas des plus gracieuses, elle était hautement justifiée par la voix-off du film. Il y aurait donc une raison à tout. Une question s’est alors imposée : là où il y a du bashing, y a-t-il forcément un sujet ? Non, à en croire Frédéric Moget, directeur général de Paramount France. Il a raison. Ce n’est pas pour se justifier face aux juges de l’ère 2.0 que lui, Jane Carter et Stéphane Réthoré (respectivement responsables marketing de la Fox et d’Universal) répondront à nos questions. C’est parce que traduire le titre d’un film, c’est en soi une démarche foncièrement obscure, doublée d’un exercice périlleux.

Translation-Exergue1Les branches françaises des studios américains se doivent d’adapter à notre territoire un « produit » américain, généralement calibré pour un monde globalisé, mais dont le titre est l’une des rares variables d’ajustement. C’est ce qui rend la problématique d’autant plus intéressante chez elles, grosses structures chargées de vendre Hollywood et l’expérience hollywoodienne aux spectateurs français. Doit-on pour cela traduire le titre original ou au contraire opter pour sa préservation ? Stéphane Réthoré, directeur marketing chez Universal, commence par préciser qu’il faut respecter l’hétérogénéité d’un public divisé en spectateurs assidus, réguliers et occasionnels, selon la fréquence de leurs venues en salles. Ensuite, il schématise : « Quand un film s’adresse aux spectateurs assidus et uniquement à eux, qu’on sait que le film ne s’ouvrira jamais à un autre public, on décide de ne pas changer le titre. Il s’agit généralement de longs- métrages venant du milieu indépendant, qui ont parfois tourné en festivals, et qui s’adressent à des gens habitués à la version originale sous-titrée. » On parle de MAN OF TAI CHI, de CLOSED CIRCUIT ou de ZERO DARK THIRTY. Du côté de la Fox, Jane Carter, directrice marketing, acquiesce en citant BLACK SWAN et GRAND BUDAPEST HOTEL. Le film de Wes Anderson est pourtant allé chercher au-delà de sa cible initiale en cumulant 1,2 million de spectateurs chez nous. Mais généralement, nous explique Stéphane Réthoré, garder le titre original manifeste d’une ambition mesurée pour le film :
 »On part du principe que ça ne sert à rien de traduire dès lors qu’on sort un film avec un certain budget pour atteindre, allez, 300 000 entrées. » Il y a un autre cas de figure dans lequel les brainstormings tournent court : les productions dont une part du marketing est assurée par viralité : « Sur PARANORMAL ACTIVITY : THE MARKED ONES, nous indique Frédéric Moget, DG de Paramount France, il y a une grande activité des fans au niveau mondial ». Forums, Twitter, événements blogueurs : toutes les discussions sont regroupées sous la bannière d’un titre unique. « Ça peut être une raison pour garder le titre original, confirme-t-on à la Fox. C’est l’un des paramètres qui a joué dans la conservation du titre de X-MEN : DAYS OF FUTURE PAST. » Bientôt, le studio distribuera le nouveau long-métrage de David Fincher (adaptation du roman « Les Apparences ») qui sera probablement épargné, lui aussi, par une traduction française, même si ce n’est pas un film de niche : « On va très probablement rester sur GONE GIRL, nous explique Jane Carter. Avec Fincher, on a des titres forts comme FIGHT CLUB, SOCIAL NETWORK, PANIC ROOM. GONE GIRL, c’est un bon titre, punchy. Ça sonne. » Et puis chez la Fox, on a déjà sorti un film intitulé APPARENCES, un thriller sur un homme et une femme, qui avait mobilisé 2 millions de spectateurs : « Là, ça prête trop à confusion ». Chez Universal, on soulève qu’il y a des réalisateurs qui, comme Fincher, sont des marques en eux-mêmes : Stéphane Réthoré a distribué INGLOURIOUS BASTERDS de Tarantino et conserver le titre original était évident. « Scorsese, Spielberg, Tarantino, Fincher, Cameron : ils attirent le public, quel que soit le pitch. »

Le titre, c’est le premier point d’entrée vers un film. « Si l’on doit simplifier les choses, dit Frédéric Moget de Paramount, il faut que le titre donne un sentiment et des éléments d’information, qu’il commence à raconter une histoire, pour refléter le pitch. » C’est la raison pour laquelle, lorsqu’un distributeur veut toucher un large public, son premier réflexe peut être d’essayer de traduire le titre en français. Les exemples les plus flagrants sont à piocher du côté du cinéma familial, qui ratisse large par définition : NIGHT AT THE MUSEUM devient LA NUIT AU MUSÉE, qui ne ment pas sur la marchandise. « On va faire notre possible pour que le titre soit prononçable par un enfant », précise Jane Carter, ajoutant qu’un titre comme TURBO est un idéal : « C’est le nom du personnage, ça pitche
le film, c’est facile à prononcer, ça a un sens en français tout en étant cool. S’ils pouvaient tous s’appeler TURBO, ça m’arrangerait ». Chez Universal, on se souvient, non sans bouffées de chaleur, de DESPICABLE ME et du parcours chaotique pour imposer MOI, MOCHE ET MÉCHANT, belle allitération devenue culte. Traduire, c’est un vrai parti pris, c’est mettre en avant un angle spécifique du film aux yeux d’un public en demande d’informations simples : « On a beaucoup de critiques sur ALBERT À L’OUEST, nous indique Stéphane Réthoré. Pourtant, c’est un titre volontairement désuet. Le personnage de Seth MacFarlane s’appelle Albert, c’est un mec qui est paumé dans le grand Ouest et qui n’est pas adapté à son époque… » Logique implacable, mais qui a tendance à donner au film de MacFarlane, personnalité politiquement incorrecte, un air pouët-pouët. « Sur TED (la première comédie de MacFarlane, sortie en 2012, ndlr), on a aussi eu un public familial. Et on aimerait qu’ALBERT À L’OUEST touche également un public à partir de 12 ans. De toute façon, les fans de MacFarlane vont nous basher, quoi qu’on fasse. » Mais ils iront quand même voir le film et ne sont absolument pas concernés par les brainstormings en question. Si la traduction littérale du titre ne fonctionne pas (comme c’est le cas pour A MILLION WAYS TO DIE IN THE WEST), le travail peut être laborieux : « On est alors obligés de réfléchir au concept, au sujet du film, nous explique Stéphane. On repart presque de zéro. Et on se dit : quel serait le meilleur titre si on ne connaissait pas l’original ? » Si, chez Universal, on insiste sur le fait que la France, contrairement au Québec, a le sens de la formule, notre langue a des lacunes en efficacité. Bien placée pour en parler, Jane Carter, Anglaise, et totalement bilingue : « Le français a tendance à être plus long. L’anglais est propice à titrer et dès lors qu’on essaie de traduire, on va dans quelque chose d’un peu plus poussif, moins moderne, moins pêchu ». Elle se souvient de l’un des cas récents les plus compliqués qu’elle ait eu à traiter : LES FLINGUEUSES, titre traduit de THE HEAT, qui, un temps, avait été intitulé LES POULETTES : « On trouvait ça drôle, LES POULETTES, mais à force de discussions, on a compris que ce n’était pas aussi positif qu’on le pensait. C’est l’exemple flagrant de la différence entre l’anglais et le français. On essaie de manipuler deux langues qui n’ont rien à voir, avec tout ce que ça signifie en matière de ton, de ce qui est cool ou pas. » Et parfois, la traduction littérale du titre en VO fonctionne, miraculeusement. Enfin… presque. Quelle démarche artistique ou marketing a amené les décisionnaires de la 20th Century Fox à changer THE SECRET LIFE OF WALTER MITTY en LA VIE RÊVÉE DE WALTER MITTY ? Est-on dans la pure coquetterie ? « Le mot ‘secret’ enfermait le personnage. En français, le mot a une consonance très perso, voire nombriliste », développe Jane Carter. Elle se souvient d’échanges par emails avec la maison-mère qui, comme nous, restait à convaincre : « Cela suggère que le personnage a une double vie. Ça faisait trop PHOTO OBSESSION (film de Mark Romanek, avec Robin Williams, ndlr). » Et d’un coup, l’image du quadra américain un peu creepy avec sa petite chemisette, nous frappe. D’où la transformation du ‘secret’ en ‘rêvée’, qui « apportait un souffle, une dimension d’aventures ».

 

Translation-Exergue2

 

ENOUGH SAID en ALL ABOUT ALBERT ; PAIN & GAIN en NO PAIN NO GAIN ; LABOR DAY
en LAST DAYS OF SUMMER. La plupart des railleries provenant des réseaux sociaux pointent du doigt une tendance agaçante à traduire l’anglais en… anglais. De telles pratiques semblent refléter un déni à la fois de la langue française et du travail fait par le réalisateur ou l’équipe marketing
du pays d’origine… Ce qui provoque immédiatement un sourire sur les visages de nos interlocuteurs : l’anglais a un côté cool, nous dit-on d’une seule voix. « Trendy », même. « WHAT’S YOUR NUMBER devient (S)EX LIST : anglais, direct, facile à comprendre », précise Jane Carter. Et le cas THE PURGE / AMERICAN NIGHTMARE ? Parlons-en avec Universal : « On reçoit le titre et on discute avec le producteur français, associé à Jason Blum. On lui explique que sur les réseaux sociaux, on se fout de nous avec LA PURGE. On se faisait déjà basher alors qu’on n’avait pas encore traduit le titre ! Or, on apprend du producteur qu’il y a eu un titre de travail sur THE PURGE et c’est… AMERICAN NIGHTMARE. C’était exactement le concept ! » En général, on opte pour une réadaptation en VO si le public cible est éduqué à l’anglais mais que le titre original prête tout de même à confusion. Prenez PAIN & GAIN. Vous dîtes ‘Peïne and gueïne’. Sauf que… « PAIN et GAIN sont deux mots qui ont leur propre signification en français (le pain du boulanger et le gain du loto, ndlr)« , nous explique Frédéric Moget. De plus, PAIN & GAIN est une variation d’une expression connue aux USA mais moins en France, « No pain, no gain ». « On s’est rendu compte que le film s’adressait à un public sans doute assez informé et finalement rester proche du titre américain était une bonne chose. Le ‘no’ permettait d’indiquer définitivement qu’il fallait prononcer en anglais. » Jane Carter se souvient d’un problème similaire sur l’un des blockbusters récents de la Fox : IN TIME, film d’anticipation d’Andrew Niccol avec Justin Timberlake. « Si vous lisez IN TIME, vous pouvez comprendre ‘Intime’. Déjà qu’on trouvait pas ça dingue en anglais… On l’a donc appelé TIME OUT, qui restait un peu cool et qui était une expression qui parlait aux gens. » Quant à la problématique LABOR DAY, Frédéric Moget la justifie avec simplicité : « Depuis Paris, on surévalue ce que la population française connaît de la culture américaine ». D’où une transformation en LAST DAYS OF SUMMER, vu que le week-end du labor day aux États-Unis se situe justement à la fin de l’été. Puisqu’on le tient, on lui demande s’il n’a jamais succombé à la tentation du STAR
TREK 2, bien plus efficace que STAR TREK INTO DARKNESS ? : « Le problème du ‘2’, c’est qu’il donne le sentiment
qu’il faut avoir vu le ‘1’ ». Et puis, « dark », ça parle aux ados. Et Stéphane Réthoré d’avouer de son côté : « Il y a une vingtaine d’années, avoir un titre en anglais n’était pas un argument marketing. Ça faisait partie de la tradition française de traduire systématiquement. Le travail de Claude Chabrol, quand il était jeune, était de traduire les titres. C’était un boulot à part entière. »

« Et puis l’Amérique, c’était loin, continue-t-il. Aujourd’hui, on est à un clic des autres pays. Je me souviens quand j’étais plus jeune, JURASSIC PARK sortait en juillet et n’arrivait en France qu’en septembre. » Il y a encore une dizaine d’années, le cinéma n’était pas soumis au diktat de l’immédiateté. Autant dire que sans Internet, les informations que le public pouvait obtenir sur un film étaient celles que les organes de presse français diffusaient. Aujourd’hui, un spectateur peut se rencarder sur n’importe quelle production avant même que son distributeur national n’ait démarré le travail de marketing. C’est « la pré-awareness », nous dit Frédéric Moget.
La pré-conscience. Jane Carter nous le confirme : « Une campagne qui débute aux États-Unis peut être vue en France ». Internet a donc tout changé. D’une part, le Web a le pouvoir de surinformer le spectateur et de lui donner la possibilité d’utiliser cette surinformation pour évaluer le travail des distributeurs de manière plus ou moins polie. D’autre part, un film arrive désormais jusqu’aux spectateurs français avec son titre original : « À mon époque, se souvient Stéphane Réthoré, même pas 40 ans, quand un film arrivait ici, il était déjà traduit. Moi, j’ai connu RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE, pas CLOSE ENCOUNTERS… » Ou LES DENTS DE LA MER et pas JAWS. LES NERFS À VIF et pas CAPE FEAR. RAMBO et pas FIRST BLOOD. Il y a même toute une génération qui voit ses madeleines de cinéma être transfigurées par l’hégémonie de l’anglais. Vous vous souvenez de PIÈGE DE CRISTAL, 58 MINUTES POUR VIVRE et UNE JOURNÉE EN ENFER ? Malgré des sous-titres français (RETOUR EN ENFER et BELLE JOURNÉE POUR MOURIR), leurs suites s’appellent DIE HARD 4 et DIE HARD 5. Aujourd’hui, chez Disney, on nous tease sur STAR WARS EPISODE VII, suite de LA GUERRE DES ÉTOILES, L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE et du RETOUR DU JEDI. « Et il y a des chances que s’il voit le jour, GHOSTBUSTERS 3 s’appelle GHOSTBUSTERS 3 chez nous, et pas SOS FANTÔMES 3 », regrette avec le sourire Stéphane. Peut-être y avait-il, « avant, quand c’était mieux », une vraie innocence dans la démarche de saga. Aujourd’hui, une franchise a le cynisme de vouloir être une marque, une licence, avant d’être une série de films. « Le temps qu’on passe à penser à la traduction d’un titre vaut toujours le coup, car ce titre cristallise quelque chose dans l’identité du film. Qu’on le change ou pas, le travail collectif qu’on a effectué profite à la réflexion sur l’ensemble de la campagne » : Frédéric Moget le sait bien, un film est une entité complexe qu’on tente de conceptualiser pour le présenter au public. « À la fin d’une campagne, on ne sait pas ce qui a pris, et ce qui n’a pas pris », continue-t-il. « Un titre, c’est un élément parmi d’autres, nous dit Jane Carter. Est-ce que ça peut planter un film ? Je ne sais pas. Mais on ne passerait pas tant de temps à le trouver s’il n’était pas important. » Parce qu’un beau titre, c’est un petit moment de poésie dans l’histoire du cinéma. « Je cite toujours un exemple, conclut Stéphane Réthoré. Il y a un western qui s’appelle HIGH NOON. Ils l’ont traduit par LE TRAIN SIFFLERA TROIS FOIS. C’est un titre génial. D’autant plus génial qu’on n’a jamais eu conscience qu’il s’appelait HIGH NOON. LE TRAIN SIFFLERA TROIS FOIS, c’est français et c’est vraiment très cool. »

 

 

 

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