Interview : Chris Carter, le retour du roi ?

09-07-2014 - 13:15 - Par

Alors que sa série THE AFTER venait à peine d’être officiellement commandée par Amazon Studios, Chris Carter – qui effectue là son grand retour à l’écriture sérielle depuis la fin d’X-FILES – donnait en avril une interview exclusive à Cinemateaser.

Cette interview a été précédemment publiée dans Cinemateaser Magazine n°34 daté de mai 2014 

Avec X-FILES, il a révolutionné la série télé, revigoré le récit feuilletonnant et, conjointement à ses autres shows MILLENNIUM, HARSH REALM et LONE GUNMEN, a prophétisé ce que serait un monde post-guerre froide dépourvu de ses idéologies. Douze ans après le dernier épisode d’X-FILES, il crée pour Amazon Studios THE AFTER, série apocalyptique (ou pas). Enfin l’heure du grand come-back ? Cinemateaser en discute avec lui.

Après une audition, une actrice (Louise Monot) se retrouve coincée dans le parking souterrain d’un hôtel aux côtés d’un clown (Jamie Kennedy), d’un homme accusé de meurtre (Aldis Hodge), d’une fliquette (Jaina Lee Ortiz), d’un avocat (Adrian Pasdar), d’une escort girl (Arielle Kebbel), d’une vieille dame (Sharon Lawrence) et d’un Britannique amateur de bibine (Andrew Howard). Lorsque la comédienne parvient enfin à rejoindre la rue, le chaos est total, la panique a embrasé la population. Virus ? Apocalypse technologique ? Invasion alien ? Attaque terroriste? Personne ne le sait, et le spectateur non plus… Tel est le point de départ de THE AFTER, nouvelle série de Chris Carter dont Amazon Studios a commandé une saison, après que la mise en ligne du pilote a suscité l’enthousiasme du public. Pour ce premier projet sériel depuis la fin de l’immense et indépassable X-FILES en 2002, Carter explique avoir trouvé l’inspiration dans sa crainte, très personnelle, d’être prisonnier d’un garage lors d’un tremblement de terre. Mais aussi dans deux épisodes apparemment banals de son existence récente : le passage d’un ouragan lors de l’un de ses séjours à Hawaï et un embouteillage monstre sur l’autoroute de L.A.. Carter en tire un pilote à la tension étrange, où les archétypes – déjà bien mis à mal dans une première scène assez hilarante – s’effritent peu à peu. Surtout, en maître ès ambiances flippantes, Carter mène tranquillement le spectateur dans un tourbillon de questionnements où hasards, bizarreries et indices forment peu à peu les prémices d’une mythologie intrigante. Jusqu’au coup de poing final : une conclusion WTF rappelant autant son œuvre maîtresse que la moins connue et malheureusement sous- estimée MILLENNIUM. Le tout emballé dans un cortège d’obsessions et peurs très modernes (prophétiques ?). À l’heure où chaque nouvelle série se voit arbitrairement érigée en game changer parangon du cool, THE AFTER ose la carte du pur objet sériel d’antan à la limite du bis. Autant dire que voir Chris Carter – un des rares showrunners à avoir révolutionné le médium série – revenir avec autant d’élan sans courir après la hype, ne pouvait que nous réjouir. Ce n’est pas fini : il développe également une autre série, AREA 51, pour AMC (voir encadré). Et a accepté de deviser du passé, du présent et du futur avec Cinemateaser. En exclusivité.

X-FILES a pris fin en 2002. Dans l’intervalle, la télé a énormément changé. Aviez-vous besoin de temps pour connaître votre place dans ce nouveau paysage ?
Oui, effectivement, j’ai pris du temps à l’écart de la télé. Pas nécessairement parce que je voulais me reposer en attendant que les choses changent. Mais c’est vrai qu’elles ont énormément évolué. À la fin des années 90, les programmes de télé-réalité sont devenus extrêmement populaires, au point de prendre les créneaux horaires des séries. La fin d’X- FILES était donc le bon moment pour moi pour prendre du recul, regarder ce qui allait arriver. Au fil des ans, j’ai constaté que les dramas de network reprenaient du poil de la bête, lentement mais sûrement, notamment avec une série comme LOST. Et puis, évidemment, au début des années 2000, il y a eu l’essor de HBO, avec LES SOPRANO ou SIX FEET UNDER. Le câble et la télévision sans pub –un format n’ayant pas les mêmes restrictions que les networks, en somme – ont pris de l’ampleur, sont devenus de plus en plus populaires. Et surtout, un excellent storytelling s’est mis en place sur ces chaînes. Cela m’a considérablement excité. Le fait que je me remette dans le bain aujourd’hui reflète mon enthousiasme – ou mon enthousiasme renouvelé – pour mon travail, mais aussi pour les opportunités créées par les avancées technologiques.

Il y a eu trois révolutions majeures dans le medium série : TWIN PEAKS, X-FILES et LES SOPRANO. Pensez- vous que l’on trouve de tels ‘game changers’ aujourd’hui?
Vous avez totalement raison pour TWIN PEAKS, X-FILES et LES SOPRANO. Après, est-ce que je considère les séries actuelles comme des révolutions en termes d’écriture sérielle? Je ne suis pas sûr, mais les séries d’aujourd’hui repoussent tout de même les limites du format que représentait le storytelling de network. Elles se permettent de plus en plus de raconter de vraies sagas. Ça, c’est une révolution. Quand cette révolution a-t-elle commencé, je n’en suis pas certain, mais j’aime penser qu’X-FILES a inspiré les gens en ce sens et a montré que l’on pouvait développer de longues mythologies.

En dépit de son pitch, le pilote de THE AFTER n’a rien d’un high concept comme on en voit souvent aujourd’hui. Il mise tout sur son ambiance et ses personnages…
En général, je pense avant tout à un propos, à des personnages, à avoir quelque chose d’intéressant à dire, à une situation. Quelque chose qui m’intéresse, moi, en premier lieu. C’était la beauté d’X-FILES : pouvoir, chaque semaine, faire ce que j’aimais. Le plus hallucinant à mes yeux, c’est que ce qui m’importait de raconter semblait également passionner le public. C’était vraiment la situation parfaite. Je ne sais pas si je parviendrai un jour à revivre exactement ça mais c’est en tout cas ce que je cherche à retrouver avec THE AFTER.

X-FILES était en partie influencé par l’impact qu’avait eu le Watergate sur vous. THE AFTER a également une origine très personnelle et viscérale… Vous sentez-vous obligé d’aller chercher dans vos peurs pour écrire? Et pourquoi les explorer toujours dans la fiction de genre?
Je crois que ça remonte à mon enfance, à ce que j’aimais à cette époque. J’ai grandi avec de bons films de science- fiction. Par le passé, j’ai souvent prétendu ne pas être un grand amateur de SF… mais après m’être vraiment repenché sur ce qui m’enthousiasmait quand j’étais plus jeune, je sais que c’était des films comme SOLEIL VERT, DESTINATION : ZEBRA, STATION POLAIRE, les écrits de Ray Bradbury, ce genre de choses. Et bien sûr LA QUATRIÈME DIMENSION ! Tout ce qui repoussait les limites. Du coup, dans mon travail, je cherche constamment à raconter des histoires intenses.

Avec THE AFTER, pour la première fois, vous créez une série qui n’a pas à se soucier des coupures pub. Cela a-t-il eu un impact sur votre écriture et votre façon de structurer le récit du pilote ?
Cela n’a pas changé grand-chose dans la manière dont j’imagine les choses à la base. Si vous disséquez attentivement le pilote de THE AFTER, vous retrouverez d’ailleurs la façon dont j’ai toujours fait les choses : il y a des actes bien définis. Et dans chacun, il y a la place pour y insérer une page de pub si besoin. Cela dit, l’écriture y est plus proche de celle du cinéma, dans lequel j’ai fait mes débuts.

Comment en êtes-vous arrivé à faire THE AFTER pour Amazon Studios?
C’était fortuit, en fait. Ils ont lu un script que j’avais écrit et ils y ont répondu de manière positive. Alors on s’est rencontrés. Puis, il s’est passé pas mal de temps après cette réunion… Je me suis dit qu’ils avaient perdu leur intérêt pour moi! (Rires.) Et puis, ils m’ont rappelé, au final. Entre le moment où j’ai commencé à écrire le scénario et celui où on a débuté le tournage du pilote, il s’est écoulé deux ans. Cela a donc été un processus assez lent si on le compare aux standards télé habituels.

Quelle est la différence majeure entre écrire pour un network et pour une plateforme de streaming comme Amazon? Parce que dans vos séries précédentes, que ce soit dans X-FILES ou MILLENNIUM, vous étiez déjà allé souvent très loin dans la violence graphique ou les thèmes abordés…
Amazon Studios m’a apporté un soutien total. Il n’y a eu aucune censure, quelle qu’elle soit. Je pensais qu’ils rejetteraient certaines situations ou certaines imageries – parce qu’il y a toujours des limites à respecter en matière de bon goût ou de décence – mais ils m’ont vraiment laissé aller là où je le souhaitais. Et c’est une bonne raison pour bosser pour Amazon Studios.

Douze ans après la fin d’X-FILES, avez-vous eu du mal à vous remettre dans le bain de l’écriture, de la réalisation et du montage?
Réaliser, c’est un peu comme être un pilote de ligne : vous avez besoin de pratiquer tous les jours. Or, il est virtuellement impossible de réaliser constamment… Donc oui, il y a eu un moment d’ajustement. Au montage, vous voyez l’épisode évoluer au point qu’il n’apparaît pas nécessairement comme vous l’aviez imaginé dans votre tête au départ. Surtout que le montage est un processus subjectif durant lequel le monteur met également de lui-même. Chaque étape de développement d’un épisode requiert une approche mentale particulière. Personnellement, j’adore le montage : c’est un exercice qui demande de la minutie et de la rigueur.

Le public, d’où qu’il soit dans le monde, pouvait voir le pilote de THE AFTER sur Amazon et donner son avis. Cela a-t-il mis plus de pression sur vos épaules ou au contraire, était-ce libérateur de laisser le destin de la série entre les mains des spectateurs ?
Honnêtement, ça ressemblait un peu à GLADIATOR. J’attendais que le public lève son pouce ou le baisse, qu’il me jette aux lions ou quelque chose dans le genre. Vous savez, c’est un travail très personnel alors c’était un peu comme se faire juger avec le pantalon baissé. L’exposition est maximale. Ce n’est pas comme d’être jugé par un ‘focus group’ assis dans une petite salle. C’est un peu le critique ultime qui s’exprime… Cela dit, c’est comme ça que les choses devraient toujours être. J’ai connu des exécutifs de chaîne selon qui le public ne sait pas ce qu’il veut. Qu’il faut le lui dire et ensuite le lui donner. Je pense que le public est bien plus intelligent et sophistiqué que ça.

Votre travail a toujours été très politique et conscient du monde dans lequel il évolue. On a la nette impression que dans THE AFTER vous allez aborder des thèmes comme la radicalisation du communautarisme, la crise morale et économique, la toute-puissance de la technologie…
Oui, vous avez juste sur tous ces thèmes ! Ce genre d’idées m’a toujours intéressé au plus haut point. Mon but premier, évidemment, est de divertir les gens. Mais ce faisant, si je peux parler de choses plus importantes…

THE AFTER est une série chorale. Est-ce l’occasion pour vous d’user d’archétypes pour ensuite les pirater, les détourner ?
Oui, tout à fait. Quelqu’un m’a dit récemment que les personnages de THE AFTER étaient à l’emporte-pièce. Je trouve ce commentaire intéressant car justement, dans mon esprit, ces personnages sont bien plus développés que ça et vont encore évoluer dans la première saison. Ils sont très complexes à mes yeux, ils ne sont pas du tout ce que l’on peut croire d’eux à première vue.

Vous prenez votre temps dans le pilote pour introduire les éléments mystérieux et/ou paranormaux. Aviez-vous envie de leurrer le public pour mieux le surprendre dans le dernier acte ?
Oui, complètement. Je voulais que le sentiment d’effroi croisse progressive- ment, que la sensation d’étrangeté s’épanouisse au fil du récit, afin que le spectateur réalise lentement que ce que les personnages traversaient n’était pas une catastrophe ordinaire. L’urgence décrite dans le pilote est relayée avant tout par les personnages et c’était totalement voulu.

En ce sens, cette structure rappelle énormément celle des épisodes d’X-FILES, dans lesquels vous débutiez par un prégénérique tonitruant avant de faire retomber immédiatement la tension pour la faire à nouveau croître très lentement jusqu’à la fin…
Oui, c’est vrai. Le storytelling a sa propre petite musique : il faut ménager les instants de tension et de respiration, de questionnement et de réponse… Tout ça est essentiel pour établir le rythme d’un récit et saisir l’attention du public.

Aurez-vous l’opportunité d’écrire la saison 1 intégralement avant le tournage et savez-vous combien d’épisodes la composeront ?
Oui, je vais avoir la chance de pouvoir tout écrire avant le tournage. J’ai bossé différemment sur mes précédentes séries et cela avait son propre charme. Mais là, ce sera un luxe de pouvoir tout concevoir en amont, de savoir exactement où on va. La première saison comportera huit épisodes en plus du pilote. Elle sera découpée en doubles épisodes : ce qui donnera quatre séries de deux épisodes, comme si la saison était constituée de quatre films de deux heures.

Vous avez un autre projet de série, AREA 51, pour AMC. Allez-vous pouvoir tout mener de front et réellement vous occuper de l’une comme de l’autre ? Les producteurs doivent souvent faire un choix au final…
En fait, je bossais déjà sur AREA 51 avant même que THE AFTER se fasse. Cela dit, j’ai réussi jusqu’à présent à me concentrer sur une chose à la fois. Si j’ai la chance qu’AREA 51 soit fermement commandée par AMC, je pense pouvoir tout mener de front, oui. Car au lieu de faire 22 ou 25 épisodes par saison comme je le faisais sur mes autres séries de network, là, j’aurai 8 épisodes par saison sur THE AFTER et, si je me base sur ce que fait AMC avec ses autres shows, 13 épisodes sur AREA 51.

Avez-vous le sentiment d’être dans une bonne passe en ce moment, avec ces deux séries ? L’impression que les planètes sont alignées, en quelque sorte ?
Je l’espère ! Vous savez, je suis très superstitieux. (Rires.) J’essaie donc toujours de faire profil bas et de travailler le plus possible afin de générer la chance. Je crois que notre époque est appropriée pour des histoires au ton proche de celui d’X-FILES. J’ai le sentiment que l’inconscient collectif est en connexion avec ce que j’ai envie de faire.

THE AFTER, Amazon Studios. Prochainement

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