Toronto 2014 : HAEMOO / Critique

05-09-2014 - 22:24 - Par

Un premier film intense, lyrique et rageux, par le scénariste de MEMORIES OF MURDER.

Extrême, sans compromission, enragé : tel est souvent le cinéma sud-coréen, qui n’aime rien tant que filmer frontalement la violence ou la déréliction morale – le tout saupoudré d’un humour absurde et/ou slapstick des plus étonnants. Avec HAEMOO, Shim Sung-bo perpétue cette tradition d’un cinéma qui, bien que populaire et accessible, refuse de s’embourgeoiser ou d’aligner les concessions. En 1998, alors que toute l’Asie subit le contre coup de l’endémique crise financière locale, un groupe de pêcheurs sud-coréens mené par le Capitaine Kang (le monstrueusement fantastique Kim Yun-seok, vu dans THE CHASER, THE MURDERER ou LES BRAQUEURS) peine à joindre les deux bouts. Le gouvernement propose bien aux marins de racheter leurs navires, surtout les plus anciens, mais pour Kang, agir de la sorte « serait comme renier [sa] famille ». Alors cet homme fier et bafoué autant par l’économie que sa femme adultère, va accepter un deal risqué : transporter sur son bateau des immigrés clandestins venus de Chine (mais d’origine coréenne) et les faire passer en Corée du Sud. Pour sa première réalisation, Shim décide donc de tourner sur l’eau – une plaie – mais peu importe car son talent semble bien plus imposant que de simples soucis logistiques. Le prégénérique d’HAEMOO, à lui seul, laisse entrevoir le talent du néo cinéaste pour construire un univers et immerger immédiatement le spectateur : un bateau bourlingué par les flots, des pêcheurs réunis dans des conditions précaires mais appréciant la compagnie les uns des autres, réchauffant leurs mains sur des ampoules dénudées ou se sauvant mutuellement la peau. Cette camaraderie, cette fraternité, Shim va passer deux heures à la mettre à mal, à la torturer et à la confronter à l’horreur. Car comme son aîné SNOWPIERCER, HAEMOO (coécrit et produit par Bong Joon-ho) se pose en géante métaphore de l’état moral du monde en temps de crise. D’un système capitaliste rongé par la course au profit et l’exploitation d’autrui. D’une noirceur implacable dans son regard sur comment l’instinct de survie pousse à se salir les mains, HAEMOO sombre peu à peu dans l’hystérie du désespoir, la folie, le chaos, les cris et la violence, alors qu’autour du navire de Kang, un brouillard d’une rare densité enserre le théâtre de cette tragédie, comme pour illustrer la perte de tout repère moral des personnages. La mise en scène de Shim, énergique, ne cherche pas la virtuosité démonstrative : ce que le réalisateur filme et les performances des acteurs suffisent à créer un lyrisme cauchemardesque – quitte à ce qu’il dérape parfois vers un trop-plein d’élans opératiques ou vers une symbolique trop appuyée. Saisi au col, horrifié par la force d’un propos asséné sans compromis, exalté par les touches d’espoir qu’une romance impossible entre un marin et une immigrante font naître, on ne peut qu’admirer ce coup d’essai qu’est HAEMOO. Et dire qu’il est inspiré d’une histoire vraie…

De Shim Sung-bo. Avec Kim Yun-seok, Park Yu-chun, Han Ye-ri. Corée du Sud. 2h. PROCHAINEMENT

 

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