Dossier : Les Beatles et le cinéma

16-12-2014 - 10:46 - Par

Pour fêter la ressortie de A HARD DAY’S NIGHT en version restaurée, Cinemateaser revient sur les liens entre le Fab Four et le cinéma.

Ce dossier a été préalablement publié dans le magazine Cinemateaser n°39, daté de décembre 2014 

Cette année marque le cinquantième anniversaire d’un des monuments de la culture pop : A HARD DAY’S NIGHT, premier film des Beatles réalisé par Richard Lester. Alors que ce chef-d’œuvre est ressorti le 10 décembre – en salles et en Blu-ray – dans une version restaurée 4K et 5.1, Cinemateaser explore en quatre points les relations tumultueuses du Fab Four de Liverpool avec le cinéma. Naviguez dans chaque article grâce aux différents onglets.

A HARD DAY’S NIGHT

A HARD DAY’S NIGHT, MANIFESTE POP

La pop n’est qu’inconséquence et insouciance ? Peut-être. Mais avec leur premier film, les Beatles en font un mode de vie se dressant contre l’ordre établi.

Un film peut-il naître d’intentions cyniques et mercantiles pour s’affirmer, au final, en œuvre sincère et avant-gardiste ? Si un exemple doit être posé en modèle, A HARD DAY’S NIGHT (QUATRE GARÇONS DANS LE VENT, en VF) brigue la première place. Haut la main. Les studios américains n’ont pas tardé à récupérer l’émergence du rock and roll et, dès les années 50, les écrans voient fleurir toutes sortes de films exaltant l’élan de liberté d’une jeunesse vibrant aux accords des guitares électriques. Parmi eux, quelques étendards comme LA HORDE SAUVAGE ou LA FUREUR DE VIVRE parviennent à capter l’air du temps. Mais pour chacun d’eux, des dizaines d’autres ne sont que de vulgaires essais de capitaliser avec opportunisme sur la naissance du rock. Des films musicaux (ou pas), souvent de bas étage, se servant de l’aura d’une ou plusieurs stars pour vendre du disque et attirer des adolescents en salles : DON’T KNOCK THE ROCK et GRAINE DE VIOLENCE avec Bill Haley, MISTER ROCK AND ROLL avec Alan Freed, LA BLONDE ET MOI avec Jayne Mansfield et une foule de chanteurs dont Little Richard, Fats Domino ou les Platters, et bien sûr, les différents opus met- tant en scène Elvis Presley – du CAVALIER DU CRÉPUSCULE à BAGARRES AU KING CREOLE en passant par AMOUR FRÉNÉTIQUE ou LE ROCK DU BAGNE, pour ne citer que ceux des 50’s. Des films qui impressionnent pourtant toute une génération et notamment de jeunes garçons de Liverpool : « Un jour, George [Harrison] et moi sommes allés voir GRAINE DE VIOLENCE, explique Paul McCartney dans le livre ‘Anthology’. Il y avait le morceau de Bill Haley ‘Rock Around The Clock’ dedans. La première fois que je l’avais entendu j’en avais eu des frissons dans le dos, alors il fallait absolument qu’on aille voir le film, rien que pour la chanson. (…) On a été drôlement déçus : uniquement de la parlotte ! » Paul et George sont d’autant plus déçus que pour entrer dans la salle, le second avait dû faire croire qu’il avait 16 ans : Paul lui avait alors confectionné une moustache… en terre ! « LA BLONDE ET MOI reste LE grand film de musique, se souvient toutefois Paul. Jusqu’alors, on avait tourné les films musicaux comme des séries B. On idolâtrait ces [musiciens] et chaque fois, on trouvait que [les films les traitaient] par-dessus la jambe. »

En 1963, United Artists Records souhaite plus que tout publier un album des Beatles mais la firme sait que la seule solution sera de produire un film. Le projet est rapidement mis sur pied – Brian Epstein, manager du groupe, signe un deal de trois longs-métrages –, et le scénariste Alun Owen, originaire de Liverpool, reçoit l’aval de John, Paul, George et Ringo. Tout comme Richard Lester, réalisateur débutant au cinéma, auteur d’un seul film, LA SOURIS SUR LA LUNE, mais qui a sur son CV un fait d’armes d’importance pour les Beatles : avoir bossé avec Peter Sellers sur
les shows télé THE IDIOT WEEKLY, PRICE 2D et A SHOW CALLED FRED ou sur le court-métrage nommé aux Oscars THE RUNNING JUMPING & STANDING STILL FILM. « Toute la partie créative quant à l’identité [de A HARD DAY’S NIGHT] revenait à Dick Lester, Alun Owen
et [le producteur] Walter Shenson », se souvient dans les années 90 le président de la production et du marketing d’UA, David Picker. L’exécutif ne lira même pas le script, dit « avoir fait confiance à Lester » et
 lui laissera le final cut, tant qu’il respecte le budget de 120 000 livres et un planning serré : le tournage doit avoir lieu en mars 1964 pour une sortie en juillet ! Et le studio 
de donner ainsi une liberté totale aux artistes pour donner vie au premier film des Beatles. Ou comment du cynisme découle
 un élan artistique libéré de tout contrôle. Cette genèse dans l’urgence va coller au sujet du film, qui se penche sur la Beatlemania soufflant alors sur l’Angleterre et suit le groupe le temps d’une journée alors qu’il se rend à l’enregistrement d’une émission télé. L’effusion, la frénésie, l’hystérie. Mais ce que United Artists ne pouvait anticiper à la signature du contrat, c’est que les Beatles allaient, avant même le tournage, devenir les plus grandes stars du monde. En février 1964, ils se rendent pour la première fois outre-Atlantique à la faveur de leur premier numéro 1 là-bas, « I Want to Hold Your Hand » et jouent au Ed Sullivan Show – 73 millions de téléspectateurs ! Deux mois plus tard, le 4 avril 1964, alors que se tourne A HARD DAY’S NIGHT, les Beatles ont douze titres (douze !) classés au Billboard américain, dont cinq aux premières places. La tournée australienne en juin s’apparente à un tsunami – des rues entières envahies de fans. Les Beatles ne sont alors plus un phénomène local, mais global. John Lennon publie à la même époque son livre « In His Own Write », prouvant qu’il est plus qu’un chanteur / musicien. Et les politiciens anglais, des Tories aux Travaillistes, tentent de récupérer le phénomène. Après la sortie du film, durant l’été, ils partent en tournée aux États-Unis, où ils refusent de jouer dans des salles ségrégationnistes, allant à l’encontre de leur réputation de gentils garçons et politisant leur image sans le chercher. Le monde tombe à leurs pieds.

Le film, lui, contribue à forger encore un peu plus l’image iconoclaste des Beatles. Sorte de mockumentary avant l’heure, il est autant un mélange de cinéma vérité avec ses caméras à l’épaule, son noir & blanc et son montage énergique, qu’une tentative réussie de fusionner rock et surréalisme. Richard Lester, sachant que les quatre membres du groupe ne sont pas des acteurs, privilégie la spontanéité, les caméras multiples, ne donne à ses comédiens aucune marque, aucune contrainte. Il conserve au montage des imprévus – George qui fait tomber son ampli –, autorise les improvisations et va jusqu’à filmer les scènes musicales sans donner la moindre consigne à ses cameramen. L’un d’eux, Paul Wilson, expliquera dans un bonus DVD : « On a instauré des codes. On filme encore les groupes de pop comme ça dans les clips ! » L’effusion un peu brouillonne des 60’s est là, elle se déroule sur l’écran, parfaitement capturée par les caméras libres de Lester et l’écriture faussement idiote d’Alun Owen. David Picker avait vu juste : « Je savais que le film serait étrange et différent. » Et pour cause : les Beatles ne sont pas Little Richard, Bill Haley ou Elvis Presley. Peu désireux de se plier aux contingences du cinéma, ne cherchant pas à se fondre dans un système qui n’est pas le leur, ils s’amusent et font de A HARD DAY’S NIGHT un portrait très précis – bien que forcément caricatural – de leurs personnalités, de leurs idées. « Quand tous ces nouveaux groupes ont émergé, personne ne pouvait dire qui était qui, chaque tube ressemblait aux autres et la presse parlait de tout le monde de la même façon, explique Harrison dans ‘Anthology’. Donc, même si on avait un tube, il fallait autre chose. Les Beatles étaient vraiment très drôles. (…) On était pince-sans-rire et les gens adoraient ça. Chez nous, on a [l’humour] dans le sang. » A HARD DAY’S NIGHT vit de cet esprit frondeur fondé sur la vanne permanente et le gag idiot, qu’il soit burlesque – Lennon sniffant une bouteille de cola en arrière-plan, image digne d’un futur film des ZAZ –, sardonique – « OK, il est vieux, mais il est très propre », dit McCartney de son grand-père fictionnel –, surréaliste – les Beatles courant à côté d’un train en marche dont ils étaient passagers dans le plan d’avant – ou farcesque à la Marx Brothers. La vanne, constamment, à chaque scène, pour dresser le portrait de quatre garçons dragueurs, buveurs, fumeurs se protégeant les uns les autres et tentant déjà de se libérer de la cage dorée dans la- quelle leur succès est en train de les enfermer. « Vous êtes mod ou rocker ? », demande une journaliste à Ringo dans une hilarante scène de cocktail / conférence de presse. « Je suis mocker », lui dit-il, sérieux comme une tombe. Là, au cœur comique même du film, Lester et Owen parviennent à saisir ce que sont les Beatles : de jeunes garçons populaires (eux disent ‘prolo’) n’ayant guère de tendresse pour l’establishment. À un concert en présence de la Reine en novembre 1963, Lennon n’avait-il pas demandé au public de « secouer ses bijoux »? Dans A HARD DAY’S NIGHT, il faut les voir se disputer avec un vieil Anglais pompeux dans un compartiment de première classe pour comprendre à quel point ils n’ont jamais été les beaux gosses lisses auxquels ont veut souvent les réduire. « J’ai fait la guerre pour vous ! », leur lance le pseudo Lord. « Je parie que vous devez regretter de l’avoir gagnée ! », lui rétorque George. « Démocratie, majorité des suffrages, vive les travailleurs et tout ça ! », dit Paul. A HARD DAY’S NIGHT, dans sa description de la génération rock, oppose la vieille Angleterre à la nouvelle, décrit une génération qui ne veut plus rien à voir à faire avec ses aînés et souhaite se libérer du passé – « Les vieux mènent notre pays à la ruine. On traite mieux les chiens que les gens en Angleterre », déclare Lennon. Évoluer, sculpter un nouveau monde politique, social et artistique. Riche de folles idées de mise en scène, d’un récit stupide et pourtant fort de sens, A HARD DAY’S NIGHT se moque des cuistres, des opportunistes, de la façon dont la vieille garde utilise le marketing pour asservir la jeunesse – ô ! ironie. Et observe sarcastiquement la Beatlemania.

Une rébellion douce et rigolarde, sans cynisme, qui musicalement signe aussi un tournant. Usant pour la première fois de guitares douze cordes, l’album « A Hard Day’s Night », influencé par Bob Dylan, pose les base du folk rock et apparaît comme une œuvre d’émancipation pour le groupe qui, pour la première fois, compose toutes les chansons –les deux premiers 33 tours comportaient plusieurs reprises. Bientôt, en 1966, les Beatles arrêteront les tournées épuisantes où la foule rugissante n’écoute même pas leur musique et deviendront des rats de studio expérimentant plus que quiconque à l’époque. Bientôt, ils se libéreront physiquement de la Beatlemania et infuseront dans leur musique une bonne dose d’avant-garde, faisant entrer la pop et le rock dans une ère moderne, aventureuse, exigeante mais populaire, avec des disques dont l’influence se fait encore ressentir aujourd’hui. Une révolution que A HARD DAY’S NIGHT préfigure. Car l’insouciance de la pop, dans les 60’s, reste la meilleure arme contre l’ordre établi. Comme souligne le scénariste Alun Owen : « Pourquoi se conformer ? Amusons-nous, plutôt ! ». David Picker, lui, résume bien la démarche qui a régi A HARD DAY’S NIGHT : « C’est un exemple classique de ce qui arrive quand une production éclairée donne à de brillants talents la possibilité de créer. » Monument et manifeste pop, A HARD DAY’S NIGHT, déjà accueilli avec enthousiasme par la critique de l’époque, a ensuite été souvent érigé en inventeur du vidéo clip. « Un jour, j’ai reçu un parchemin disant que j’étais le père de MTV, a déclaré Richard Lester. J’ai répondu que je voulais un test sanguin de paternité. » Irrévérencieux jusqu’au bout.

DE HELP! À LET IT BE

DE HELP ! À LET IT BE, UNE VIE EN PELLICULE

Après la tornade A HARD DAY’S NIGHT, les films des Beatles n’ont jamais affiché la même verve. Ils sont pourtant intimement liés à l’évolution personnelle et musicale du groupe.

Couvert de lauriers – deux citations aux Oscars –, de louanges critiques et d’un énorme succès public – on parle de 13 millions de dollars de recettes–, A HARD DAY’S NIGHT ne pouvait que connaître une ‘suite’. Très rapidement, dès le deuxième semestre 1964, est ainsi mis en chantier un BEATLES TWO – le titre de travail. Mais cette fois, les intentions sont tout autre : exit l’aspect documentaire et le noir & blanc. HELP ! (son titre définitif), affublé d’un budget quatre fois supérieur à son prédécesseur, doit être une grande extravagance exotique en Technicolor. Le tout autour d’une ridicule histoire de secte indienne traquant le groupe autour du monde pour récupérer une bague sacrificielle dont a hérité Ringo. À bien des égards, au moins esthétiques, HELP ! se révèle une œuvre radicalement plus pop, au sens primitif du terme, que A HARD DAY’S NIGHT : couleurs acidulées, décors design ou rétro-futuristes en carton pâte, surréalisme sixties encore plus poussé, humour emprunté à LA PANTHÈRE ROSE de Blake Edwards, musique parodiant le thème de James Bond, conscience de lui-même… Là où A HARD DAY’S NIGHT apparaît presque intemporel, HELP ! est bel et bien un film de son époque. Un film plus classique dans sa facture, aussi, avec sa vraie ‘intrigue’, aussi grotesque soit-elle, son score et sa réalisation globalement plus conventionnelle.

En coulisses, le processus créatif s’avère bien moins libre que sur A HARD DAY’S NIGHT et Lennon reprochera notamment à Richard Lester – de nouveau réalisateur et auréolé depuis d’un Grand Prix à Cannes pour LE KNACK – de ne pas avoir expliqué au groupe de quoi retournait le récit. Dans le livre « Anthology », McCartney précise: « Alors qu’on avait essayé de s’impliquer et d’apprendre le script de A HARD DAY’S NIGHT, on a un peu pris HELP ! à la légère. Je ne suis pas sûr qu’on ait jamais su nos rôles, on les apprenait en allant sur le plateau. » Irrités par un planning de tournage les bourlinguant tout autour du monde – les Bahamas, les Alpes autrichiennes, Londres –, les Beatles semblent tourner HELP ! à reculons. De plus en plus écrasés par le poids de la Beatlemania, ils apparaissent ici comme des entités floues, dissoutes dans cette gloire surréelle. Fumant de la marijuana dès le petit-déjeuner, ils passent le plus clair des prises de vues de HELP ! dans un brouillard, à rire bêtement. HELP ! est donc une expérience douloureuse et la chanson-titre n’a rien d’anodin : elle relaie la détestation que Lennon a de lui-même. « Ce phénomène Beatles allait au-delà de tout entendement. Je mangeais et je buvais comme un porc, dégoûté de moi-même et, dans mon subconscient, j’appelais au secours. C’était ma période ‘Elvis gras’. » En un sens, ce deuxième long-métrage, incapable de recréer la magie, l’élan sincère et ironique de A HARD DAY’S NIGHT signe l’arrêt momentané de la carrière des Beatles à l’écran. Pourtant, le tournage aura une influence majeure sur leur musique et leur philosophie personnelle : George entre en contact avec la musique de Ravi Shankar – il utilisera ensuite le sitar maintes fois –, et avec la culture indienne – ce qui le mènera vers la méditation transcendantale. Dès lors, leur musique fraie progressivement vers plus de psychédélisme et surtout, leur frustration de n’avoir eu aucun contrôle sur HELP ! marquera leur désir de n’avoir plus aucun maître créativement.

Musicalement, cette prise de conscience mènera aux expérimentations sonores de « Rubber Soul » et « Revolver ». À l’écran, elle aboutira à MAGICAL MYSTERY TOUR, téléfilm diffusé sur la BBC en décembre 1967, qui met en scène le groupe avec divers personnages excentriques voyageant dans un bus. Un road-trip délirant, tourné sans scénario et imaginé au fil des prises de vues, dont l’idée incombe à McCartney et sur lequel les Beatles ont tout contrôle. Trop, sans doute : étrange, névrosé voire dérangeant, MAGICAL MYSTERY TOUR est un OFNI qui déconcerte son époque mais qui entérine un peu plus l’exigence avant-gardiste assénée quelques mois auparavant par le groupe avec l’album « Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band ». « On savait qu’on allait contre l’ordre établi, explique McCartney, et qu’on tournait un petit film barré et crétin. (…) C’était plus un film d’art qu’un film proprement dit. » Entre-temps, John Lennon a tourné un autre long-métrage avec Richard Lester, COMMENT J’AI GAGNÉ LA GUERRE, fable comique anti militariste dans laquelle il interprète un soldat, tandis que les Beatles se sont totalement désintéressés du troisième film, dû par contrat à United Artists. Ils accueillent donc avec enthousiasme l’idée d’en faire une animation sur laquelle ils n’auront guère de travail – si ce n’est de livrer quelques morceaux inédits. Sur YELLOW SUBMARINE, sorti en 1968, bien que héros du récit –le groupe se rend au pays imaginaire de Pepperland en sous-marin jaune pour sauver la musique des méchants Blue Meanies–, ils ne prêtent ainsi même pas leurs voix à leurs alter-ego dessinés. Surprise : alors que McCartney envisageait le projet comme un ersatz des productions Disney, YELLOW SUBMARINE prend une route bien moins commerciale, plus folle, qui, étonnamment, fut couronnée de succès et qui, près de cinquante ans plus tard, souligne avec force de l’univers parfois non sensique – et psychotrope – du groupe.

Témoignage de leur évolution personnelle et artistique, la carrière des Beatles à l’écran se termine sur ce même credo: leur dernier film, sorti en 1970, n’a plus rien de fictionnel ou de parodique. Le docu LET IT BE, initié en 1969, fut pensé par Paul : réalisé par Michael Lindsay-Hogg, il devait chroniquer la confection du prochain album. Mais les dissensions au sein du Fab Four sont alors trop fortes : usés par sept ans de gloire mais aussi par les ambitions musicales de chacun, ils ne parviennent à s’entendre. Et le film de capter l’agonie du groupe – bien qu’ils enregistreront un dernier album, « Abbey Road », sorti pourtant avant « Let It Be » –, la violente déliquescence de leur relation, comme dans cette séquence désormais célèbre où George critique avec rancœur le dirigisme de Paul. « C’est la séparation des Beatles que l’on voit dans LET IT BE et ce n’est pas ce qu’on voulait montrer, se souvient Paul. C’était probablement une meilleure histoire, une triste histoire, voilà…  » La fin de l’insouciance, la fin de la pop, sans humour ni exaltation. Comme un reflet en négatif de A HARD DAY’S NIGHT.

LEUR MUSIQUE AU CINÉMA

YOU NEVER GIVE ME YOUR MONEY

Pourquoi n’entend-on pas plus les chansons des Beatles au cinéma et à la télévision ?

Ils font partie des plus gros vendeurs de disques de l’histoire de la musique moderne et personne sur la planète n’ignore leur nom. On imaginerait donc que leurs tubes ou même leurs chansons moins connues fleurissent sur les soundtracks des meilleurs films et séries. Mais non. Ces cinquante dernières années, les chansons des Beatles n’ont que rarement trouvé le chemin des écrans. Les raisons sont pragmatiques, presque couillonnes. Tout d’abord, le coût des droits d’utilisation, que la rumeur qualifie de prohibitif, et ensuite, le fait qu’Apple Corps –la société créée par les Beatles en 1968– soit particulièrement attentive à la manière dont le patrimoine du groupe est utilisé. Ainsi, on compte à peine une grosse poignée d’apparitions d’une de leurs chansons dans une bande son. Parmi les plus emblématiques, citons : « All You Need Is Love » dans l’épisode final du PRISONNIER (1968) – dont les Beatles étaient fans –, « Hey Jude » et « Strawberry Fields Forever » dans LE RETOUR (1978) de Hal Ashby, « When I’m Sixty-Four » dans LE MONDE SELON GARP (1982) de George Roy Hill ou plus récemment « Baby You’re a Rich Man » dans la scène finale de THE SOCIAL NETWORK et surtout « Tomorrow Never Knows » dans un épisode de la saison 5 de MAD MEN. Pour obtenir ce privilège – Apple Corps s’avère encore plus regardant quand il s’agit de télé –, le créateur de MAD MEN Matthew Weiner a dû se plier à une règle inhabituelle pour lui: faire lire le script aux exécutifs d’Apple. Il en aurait ensuite coûté aux producteurs un chèque de 250 000 dollars, soit deux à deux fois et demi le prix habituel des droits d’une chanson. « Tout le monde a été abasourdi que ce soit vraiment les Beatles », explique Weiner au New York Times, soulignant l’événement que cet épisode a constitué – la scène s’avère d’une puissance d’évocation assez folle grâce aux sonorités expérimentales de la chanson. Entendre « vraiment les Beatles » se fait rare, alors les music supervisors ont plusieurs stratagèmes à leur disposition pour se payer un bout du rêve : engager l’un des Beatles pour composer un score (WONDERWALL en 1968 et SHANGHAI SURPRISE en 1986 pour George Harrison, CHAQUE CHOSE EN SON TEMPS en 1966 pour Paul McCartney), une chanson (« Live and Let Die » ou « Vanilla Sky » dans les films éponymes, par McCartney), utiliser des reprises (SAM JE SUIS SAM, ACROSS THE UNIVERSE, le générique de la série LES ANNÉES COUP DE CŒUR, LA FAMILLE TENENBAUM… ) ou acheter les droits de chansons solos du Fab Four (McCartney dans BOYHOOD, SUPER 8, FRANCES HA…). L’un des champions de cette dernière méthode ? Judd Apatow qui, pour la BO de FUNNY PEOPLE, réunit du McCartney (« Great Day », « In Private »), du Starr (« Photograph »), du Lennon (« Watching The Wheels ») et du Harrison (« Give Me Love »), pour une sorte de reformation non officielle du groupe.

DOCU, FICTIONS, BIOPIC, PROJETS

ALL TOGETHER NOW

Documentaires, fictions, projets : quand la vie des Beatles se décline à l’écran.

Une liste sans fin de documentaires a exploré le destin des Beatles, mais parmi les essentiels figure THE BEATLES : THE FIRST U.S. VISIT des frères Albert & David Maysles, chantres du cinéma vérité qui suivirent en 1964 l’arrivée du Fab Four aux USA. Pour une vue d’ensemble exhaustive, la passionnante série ‘officielle’ ANTHOLOGY, sortie en 1995 en VHS (et rééditée en DVD en 2003), consiste en douze heures d’images d’archives et d’interviews exclusives. Du côté des Beatles en solo, citons IMAGINE, sur la confection de l’album éponyme de Lennon, WINGSPAN, qui explore la carrière post-Beatles de McCartney au sein des Wings, et évidemment LIVING IN THE MATERIAL WORLD, dirigé par Martin Scorsese et consacré à George Harrison. Du côté des fictions, en dépit d’une dizaine de films ou téléfilms, aucune n’est parvenue à capturer l’essence même des Beatles, que ce soit BIRTH OF THE BEATLES (1979) de Richard Marquand, THE HOURS AND TIMES (1991) de Christopher Munch –sur une escapade mystérieuse de Lennon et Ep- stein en 1963 –, BACKBEAT (1994) sur leur premier bassiste Stuart Sutcliffe et leurs années formatrices à Hambourg, ou NOWHERE BOY sur la jeunesse de Lennon. Plus notable car centré sur un fait méconnu, le téléfilm TWO OF US dirigé par Michael Lindsay-Hogg (réalisateur de LET IT BE) et interprété par Aidan Quinn et Jared Harris, s’intéresse à un rendez-vous manqué: un soir de 1976, alors que McCartney rend visite à Lennon chez lui à New York, ils faillirent rejoindre le plateau du « Saturday Night Live », le producteur du show Lorne Michaels les exhortant à se reformer depuis des semaines. Moins spécifique, centré sur la Beatlemania et son effet sur la jeunesse américaine, I WANNA HOLD YOUR HAND (1978) s’avère surtout intéressant pour l’identité de son producteur, Steven Spielberg, et de son réalisateur, Robert Zemeckis, dont il s’agit du premier film. Trente ans plus tard, il tentera de remaker YELLOW SUBMARINE en performance capture et en 3D, en vain. Alors peut-être aura-t-on plus de chance avec les projets en cours de développement: THE FIFTH BEATLE, que doit réaliser Peyton Reed (ANT-MAN), s’intéressera au manager Brian Epstein, tout comme THE MAN WHO produit par Tom Hanks, réalisé par Paul McGuigan (SHERLOCK) et auquel Benedict Cumberbatch a été attaché. Citons également une mini-série en huit épisodes écrite par Michael Hirst (LES TUDORS) pour NBC et surtout un documentaire signé Ron Howard, qui a reçu le soutien d’Apple et s’intéressera à la carrière scénique des Beatles, de 1960 à 1966. En revanche, on n’a aucune nouvelle de THE LONGEST COCKTAIL PARTY de Michael Winterbottom, une production de Liam Gallagher sur les dernières heures du groupe.

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