Dossier WHIPLASH – Partie 2 : Interview de J.K. Simmons

26-12-2014 - 12:57 - Par

Il a été Vern Schillinger dans la série OZ, J. Jonah Jameson dans les SPIDER-MAN de Sam Raimi, a tourné pour Jason Reitman, Gore Verbinski, les Coen… Mais c’est bien avec WHIPLASH qu’il trouve, à 59 ans, son rôle le plus marquant. Celui qui pourrait (devrait !) lui valoir une nomination à l’Oscar. Rencontre avec un des joyaux du cinéma américain. Un « character actor », un vrai.

Cette interview a été publiée au préalable dans le magazine Cinemateaser n°40 daté de décembre 2014 / janvier 2015

Vous avez travaillé avec Damien Chazelle sur le court et le long- métrage WHIPLASH. À quel point est-ce libérateur de faire confiance à un tout jeune cinéaste ?
À mon âge, la plupart des réalisateurs sont jeunes, vous savez ! (Rires.) Avec Damien, j’ai ressenti la même chose que la première fois où j’ai bossé avec Jason Reitman (sur THANK YOU FOR SMOKING. Il a participé à tous ses films depuis, ndlr). J’ai été impressionné dès le départ – et cela ne s’est pas démenti durant tout le processus – de voir un gamin qui avait l’air de débarquer du lycée faire preuve d’une telle intelligence mais aussi d’une grande compréhension des rapports humains et de son métier – la minutie qu’il requiert, notamment. Jason comme Damien saisissent parfaitement tous les aspects de leur boulot.

On a l’impression que beaucoup de jeunes cinéastes actuels sont bien plus attirés par les « character actors », comme vous par exemple, que par les « leading men »…
Oui… Après je me demande si ce n’est pas un peu comme le problème de l’œuf et la poule : quand on est un jeune cinéaste, on ne peut pas se payer les stars. Ce n’est qu’à son quatrième film que Jason a pu avoir Clooney ! (Rires.) Les jeunes cinéastes idéalistes sont attirés par les « character actors » parce qu’ils écrivent des personnages intéressants. Quand vous faites appel à des « leading men » traditionnels, votre film devient celui de la star en question. C’est plus facile d’engager des acteurs comme moi ou de jeunes comédiens prometteurs qui n’ont pas encore été enracinés dans un certain type de rôles : cela permet d’obtenir cette suspension de l’incrédulité indispensable au caractère organique d’un film.

Devant WHIPLASH, on ne peut que penser à Vern Schillinger, votre personnage de néonazi dans OZ. Trouvez-vous cette réflexion absurde ?
Ah non, je ne la trouve pas du tout absurde. Quand j’ai lu le script, je n’y ai pas pensé, cela dit : j’ai d’abord aimé le contexte musical du film, car j’ai été moi- même un peu musicien. J’étais excité à l’idée de jouer un leader jazz, de revenir à mes racines, j’aimais la relation entre les personnages, même si Fletcher est fou furieux. En essayant de trouver d’où viennent sa personnalité et sa quête de perfection, j’ai forcément fini par justifier son comportement. Quand le court- métrage puis le long-métrage WHIPLASH ont été présentés à Sundance, la comparaison entre Fletcher et Schillinger a commencé à émerger… Je la trouve inévitable.

À la différence que Fletcher est mû par une certaine noblesse. En tant qu’artiste, comment jugez-vous sa philosophie sur le devoir d’excellence ?
Je suis en accord avec beaucoup de ses idées. La scène du bar, dans laquelle il explique sa philosophie, est en partie improvisée. Donc en surface, je crois en ce qu’il dit, mais je ne peux y adhérer dans la vie réelle. Il est difficile de suivre de tels préceptes sans devenir ce que Fletcher devient. Si vous suivez de tels principes au détriment de toute décence humaine, c’est que vos priorités ne sont pas les bonnes. Même si, dans l’idée, cette philosophie – qu’on l’applique à la musique, au sport, à la politique – est acceptable. Aux États-Unis, on prend à l’heure actuelle le risque d’élever une génération qui accepte totalement sa médiocrité.

Vous dites ne pas vouloir sacrifier votre vie à votre carrière. Est-ce difficile à faire accepter à vos agents ?
Avant de faire du cinéma ou de la télé, j’avais derrière moi seize ou dix-huit ans de carrière sur les planches, dans des théâtres régionaux ou à Broadway. Quand je suis arrivé à un moment où j’avais l’opportunité de choisir des projets à la télé ou au cinéma – c’était juste après la naissance de mon premier enfant, qui a 15 ans et demi maintenant –, j’ai été très clair avec mes agents : ma priorité était de faire des choses intéressantes mais surtout, je voulais aussi être un mari, un père et avoir une vie. Cela a eu un impact important sur mes choix – les films que j’ai acceptés, ceux que j’ai refusés. C’est aussi pour ça que j’ai fait beaucoup de télé : cela me permettait de rester à la maison. Les films se tournent tout autour du monde maintenant. Cela dit, quand mes enfants auront tous quitté la maison, j’entends bien faire plus de films, histoire de voyager avec ma femme. Être acteur, c’est ce que je fais pour gagner ma vie et cela a été une bénédiction de pouvoir faire ce métier avec des gens passionnants. Mais ce travail n’est pas ce qui me définit, ce n’est pas ce que je suis en tant qu’homme.

Vous n’avez jamais été aussi affûté physiquement que dans WHIPLASH…
Au cours de ma vie et de ma carrière, j’ai été en forme physique fluctuante. Il y a quatre ou cinq ans de ça, après avoir tourné un film pour lequel j’avais bêtement et délibérément pris du poids (pour NEW IN TOWN, il a pris 20 kilos, ndlr), j’ai décidé de me tenir davantage en forme. Et c’est vrai que ce physique sert bien le personnage de Fletcher, son énergie. Il est si exigeant que cela me paraissait logique qu’il s’entretienne. Être aussi imposant, c’est un bon moyen d’intimider ses jeunes élèves.

Vous jouez souvent les figures d’autorité : des pères, des flics, des agents du FBI… Jusqu’à ces figures dictatoriales que sont Schillinger et Fletcher. Êtes-vous attirés par ces rôles ou est-ce ce que les gens voient en vous ?
C’est drôle parce qu’au lycée, j’ai d’abord été un « jock » (un sportif, ndlr) puis un hippie. J’étais très anti autorité. Et je le suis encore, en un sens. Si je me retrouve face à un « flic informel », le rebelle en moi a tendance à refaire surface. C’est donc assez intéressant que je joue tant de figures d’autorité… Je pense que c’est dû à une combinaison de choses. J’essaie de ne jamais refaire perpétuellement les mêmes choses mais de tous mes rôles, ceux qui ont eu le plus d’impact étaient dans ce registre « autoritaire ». Et puis je n’ai pas fait de télé ou de cinéma avant mes 40 ans, je suis chauve avec une voix grave : ces rôles me vont bien, j’imagine. Mais je cherche des variations : dans le prochain TERMINATOR, je joue un flic mais sa relation avec les autres personnages, avec l’univers, sa fonction dans le récit n’ont rien à voir avec l’idée d’autorité. Il y avait un personnage que j’adorais : Sipowicz, qu’incarnait Dennis Franz dans la série NEW YORK POLICE BLUES. C’était un personnage incroyable, moyen mais autoritaire, toujours mécontent, avec des zones d’ombre. J’ai souvent envié Franz car c’est typiquement le genre de personnages que j’aime. Je cherche constamment ce type de variations dans mes rôles.

Vous êtes dans le prochain TERMINATOR, vous avez été dans les SPIDER-MAN de Sam Raimi. Vous semblez ne pas avoir peur du système car vous savez qui vous êtes en tant qu’homme et acteur… Comment voyez-vous l’explosion de la carrière de Miles Teller qui, presque encore inconnu, se voit déjà proposer des projets énormes comme le reboot des QUATRE FANTASTIQUES ?
J’ai eu la chance de débuter tardivement devant la caméra. C’est bien plus difficile pour un gamin comme Miles qui sort à peine de l’école et qui, très peu de temps après, explose et fait déjà des gros films. Je n’ai pas la prétention de lui donner le moindre conseil car c’est un garçon très intelligent. Il a une grande compréhension de ce que signifie « se bâtir une carrière ». Bien plus que je ne l’ai jamais eue. Moi, je suis passé de boulot en boulot au début, pour payer le loyer. Aujourd’hui, je n’ai plus à me soucier de ça donc je cherche juste des projets qui m’intéressent.

WHIPLASH, de Damien Chazelle. En salles
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