Interview : c’est quoi un film d’Atom Egoyan ?

13-01-2015 - 12:51 - Par

Vingt ans après EXOTICA, le film qui l’a révélé au grand public, le Canadien Atom Egoyan perpétue un cinéma étouffant et obsédant. Avec une douceur rare et une volonté de transmission, et sans qu’aucun sujet ou qu’aucune critique ne l’effraie, le réalisateur –venu défendre CAPTIVES face à une mauvaise presse qu’il traîne depuis Cannes – nous parle de son cinéma avec une objectivité qui force l’admiration.

Cet entretien a été au préalable publié dans le magazine Cinemateaser n°40 daté de décembre 2014 / janvier 2015 

À Cannes, vous avez vécu toutes les expériences en compétition. Des louanges du public et de la presse au rejet pur et simple de vos films. Comprenez-vous ce qui divise au sein même de votre cinéma ?
Non. Et malheureusement, pour CAPTIVES, je n’étais pas à la projection presse du matin. J’aurais préféré y être, car j’aurais sûrement mieux compris ce qui s’était passé. Le soir, lors de la présentation officielle, les retours étaient très bons et le public qui était là a bien répondu. Mais d’après ce que j’ai compris, le matin, c’était un véritable cauchemar. Je ne comprends pas la plupart des reproches. Notamment, je ne saisis pas pourquoi on dit que mon film est manipulateur. J’insuffle un sentiment de sadisme, mais ce n’est pas le cœur du film.

C’est aussi le problème de montrer un tel film en festival… Peut-être que la presse est submergée d’informations…
(En français dans le texte) Il a été montré en début de festival. Ce n’est pas une question de fatigue. C’est quelque chose qui relève de l’alchimie et que je ne comprends pas. (Il repasse à l’anglais) Vous pensez qu’à Cannes, vous trouverez les spectateurs les plus sophistiqués. Et vous réalisez que ce n’est pas forcément le cas. Mais vous savez, j’ai eu des expériences excellentes à Cannes alors je me dois d’assumer aussi les très mauvaises. Et puis, j’ai vu ce genre de choses arriver avant moi. Avec CRASH de David Cronenberg, notamment. Et d’autres films qui sont aujourd’hui très connus. Je n’avais jamais vécu quelque chose d’aussi dur. Mais c’est enrichissant.

Vous trouvez que c’est un bon signe quand un film divise? Cela prouve qu’il ne laisse pas indifférent, après tout…
Sur le coup, c’est difficile de le comprendre. Mais vous avez raison. Le pire qui peut arriver, c’est que le film ne génère que des retours plats. (Il réfléchit.) Quand vous faites un film, vous espérez qu’il sera lu et étudié. Mais quand il est juste écarté (il mime de balayer le film d’un revers de main, ndlr), c’est vraiment dommage, car ça empêche peut-être d’autres personnes d’en profiter.

Pensez-vous que Ryan Reynolds soit sujet à des préjugés?
Oui, peut-être. Mais ça aussi, c’est dommage, car c’est vraiment un super acteur. J’y ai réfléchi et le fait qu’il y ait Ryan Reynolds, Rosario Dawson, qu’ils soient assimilés à un cinéma commercial, n’a peut-être pas plaidé en faveur du film. Ce qui est malheureux, car ce sont des acteurs formidables et parfaits dans leurs rôles. Peut-être que ça a contribué à ce que l’alchimie ne se fasse pas. Vous voyez, je ne comprends pas… J’estime que CAPTIVES est un thriller un peu à part. Déjà, ce n’est pas vraiment un thriller, car vous savez exactement ce qui s’est passé dès le départ. L’identité du ‘monstre’ est révélée très tôt. Il n’y a pas ce compte à rebours traditionnel. Ce sont des personnages qui sont suspendus pendant huit ans à une situation et à l’effet psychologique que l’événement peut avoir sur eux. C’est pour ça que je peine à comprendre les gens lorsqu’ils disent que c’est un thriller banal. (Il réfléchit) Je crois qu’en fin de compte, pour les critiques, j’ai eu une carrière parfaite pendant mes sept premiers films. Je ne cessais de m’améliorer et ils ne cessaient de me découvrir. Puis soudain, on en est arrivé à un point où ils voulaient que je revienne au cinéma de mes débuts alors que je ne peux pas. Les temps ont changé. À l’époque, la technologie était très simple, et les films étaient des paraboles de leur temps. CAPTIVES est une parabole de son temps. La culture est différente. On ne peut pas être naïf quant au monde qui nous entoure. Malheureusement, Internet a généré un monde très sombre.

ADORATION était extrêmement moderne de ce point de vue. Il parlait d’Internet avant même ses dérives. Pensez-vous qu’à vouloir capturer votre temps, on puisse vous reprocher de ne pas être intemporel ?
Je peux comprendre qu’ADORATION ait été mal perçu, en tout cas. Le film avait davantage une position moraliste. Et il n’était pas très ouvert à un large public, il était hermétique. Alors que CAPTIVES est accessible. Lorsqu’il est sorti au Canada, il a rencontré un vrai succès – sans pour autant, encore une fois, avoir eu de bonnes critiques. Peut-être grâce à Ryan Reynolds, les gens ont développé un vrai lien avec le film. Mais c’est intéressant: quand je compare les retours des deux films, je préfère ceux de CAPTIVES, même s’ils sont négatifs. Car ils sont plus concrets. ADORATION, lui, s’est juste évaporé.

Un des reproches que les gens font à CAPTIVES concerne le personnage du méchant, qui est peut-être un peu trop théâtral. Mais si l’on considère le film comme une sorte de conte, peut-être un conte de Grimm, il devient naturel et logique…
Son projet est méchant et sadique, j’en conviens. Mais il y a quelque chose d’inhabituel dans le film: lorsqu’un enfant est kidnappé par un pédophile, ce dernier coupe tout lien entre l’enfant et sa famille. Les parents disparaissent du tableau et le kidnappeur dit à sa victime que tout le monde l’a oubliée et il prend ainsi la place des parents. Alors que celui du film crée un ‘conduit’ entre l’enfant et les parents et la jeune fille peut ressentir le monde extérieur. C’est un choix étrange qu’il fait. C’est sadique, mais c’est aussi masochiste, car l’enfant a alors le pouvoir d’aimer encore ses parents et de ne pas l’aimer lui. Il lui demande de parler de sa mère, d’à quel point elle lui manque… Il a une psychologie très complexe. Au final, il est presque plus focalisé sur la mère et sur le fait qu’elle est son adversaire. Je crois que les gens pensent que la machinerie du film et l’utilisation du temps sont des manières de les torturer. Mais je ne l’ai jamais vu comme ça. C’est juste la façon dont il fallait raconter l’histoire. Il y a bien des films qui torturent le spectateur de manière racoleuse, mais cela n’a jamais été mon intention.

Vous parliez de l’utilisation du temps dans CAPTIVES. Effectivement, c’est un récit exigeant, qui nécessite toute l’attention du public. Et peut-être que les films qui expérimentent d’autres narrations sont plus souvent rejetés, car ils sont sous-tendus par l’idée que le réalisateur les manipule artificiellement.
Je me suis posé la question : est-ce que ce style est complètement ‘passé’ (en français dans le texte) ? Je suis toujours très influencé par un certain type de postmodernisme, comme MURIEL d’Alain Resnais, ces films qui utilisent les temporalités d’une manière très spéciale. CAPTIVES n’est peut-être pas le genre de projets sur lesquels les gens s’attardent aujourd’hui. Les critiques dialoguent peut- être plus avec des narrations linéaires. Je peux réaliser des films comme ça. Mais je ne peux pas les écrire. CAPTIVES représente totalement ma manière d’écrire. (Il réfléchit) Vous savez, la raison pour laquelle CAPTIVES est populaire à mon avis, c’est que ce style de narration correspond à une enquête policière. Vous avez des pièces à conviction et vous devez les reliez vous-même. C’est comme un casse-tête. Vous pouvez totalement prendre le film comme une série d’indices à décoder. Il faut un peu s’investir. Vous pouvez jouer au détective. Mais ce sens du temps, pour moi, était la meilleure manière de représenter le traumatisme que ces personnages ont enduré pendant huit ans. Ils ne vivent pas dans l’idée d’un temps organisé de manière cohérente. Il a été fracturé.

Vous avez souvent utilisé la narration éclatée dans vos films. Notamment CALENDAR et EXOTICA…
Dans les films que vous mentionnez, il y a l’idée de la perte. Dans CALENDAR, il y a le deuil d’une relation et l’idée de poser la question du pourquoi. Il y a le processus de la guérison et de la réparation de soi-même. Dans le cas d’EXOTICA, il y a la dévastation provoquée par le meurtre d’un enfant et son impact dans la vie de divers personnages. Dans CAPTIVES, c’est cette impression de perplexité et l’horreur de ne pas savoir ce qui s’est passé. De vivre avec les conséquences de l’erreur. D’une erreur vraiment stupide : il laisse sa fille seule dans une voiture – tout le monde pourrait faire ça –, et il revit ça encore et encore. Il y a une vraie cruauté. L’idée de la narration éclatée, c’est cette idée de rejouer un moment crucial. De ritualiser la souffrance et le deuil. Les personnages cherchent un sens de la structure. Aller dans un strip club et voir la même danseuse à chaque fois devient une sorte de thérapie. Rencontrer le même inspecteur tous les ans pour l’anniversaire de la disparition de la petite, dans le cas de CAPTIVES, devient une thérapie. Il faut trouver une activité qui donne du sens à une vie pesante et douloureuse. Est-ce que ça veut dire que ces films, avec ces narrations spéciales, doivent toujours parler du trauma ? J’y ai pensé souvent. J’aimerais croire qu’on peut raconter une histoire où la joie est si pénétrante qu’elle crée la même réfraction, mais je ne pense pas que ce soit possible. (Rires.)

Il y a dans votre cinéma une sempiternelle quête de vérité, qui permet aussi une étude cinématographique des points de vue. Il y a cette idée de rechercher la vérité absolue et l’objectivité qui n’existeraient pas.
Absolument. C’est la base. Comment on construit un sens de réalité. La vérité, c’est lorsqu’on fait le compromis de plusieurs intentions. Dans CAPTIVES, c’est très clair. Du point de vue de la police, il était seul dans la voiture. Nous comprenons que ce n’était pas le cas. Mais selon le seul témoin, ça l’était. Il y a tellement de réalités qui sont réorganisées selon la mauvaise perception de chacun. C’est un sujet qui me passionne. Le cinéma est un medium parfait pour explorer la vérité car il est très déterministe. Vous faites un plan et le point de vue utilisé est très clair. D’ailleurs, on peut l’illustrer par mon plan préféré dans CAPTIVES : la caméra avance vers le magasin (devant lequel le personnage de Ryan Reynolds s’est garé et a laissé sa fille seule dans la voiture, ndlr), on dépasse le 4×4, on n’entend pas de bruit de lutte, on ne sait pas combien de temps ça prend, on ne sait pas s’il est resté longtemps dans la pâtisserie, peut-être qu’il est descendu au sous-sol, peut-être qu’il a discuté avec la caissière cinq minutes, il neige alors les traces ont été recouvertes. C’est très mystérieux. On connaît le résultat, mais le cœur de ce qui s’est passé restera de l’ordre de l’inconnu.

Ryan Reynolds dit à quel point il était flatté que vous le choisissiez car il ne voyait rien dans sa filmo qui pouvait vous laisser penser qu’il était le bon choix pour CAPTIVES…
Il est injuste ! J’ai vu BURIED qui était un film super et il était vraiment très fort dans SÉCURITÉ RAPPROCHÉE. C’était deux grands rôles dramatiques. Il pense que tout le monde le voit comme une star de romcom ou comme Green Lantern… Quand j’ai écrit le film, je voulais un acteur avec un vrai capital sympathie, car son personnage allait être le sujet d’une enquête et que ce faisant, il serait soumis à une énorme pression. Et il fallait que le public prenne son parti. Ryan Reynolds me semblait être le choix parfait.

Y avait-il aussi une volonté d’ouvrir votre cinéma à un public plus jeune, en le choisissant lui ?
Ce serait génial ! Aucun réalisateur ne s’en plaindrait. Ce n’est pas dans ce but que je lui ai offert le rôle, mais si de jeunes spectateurs se tournent vers le film, comme ce fut le cas au Canada, alors super.

Des Canadiens anglophones – et notamment Jay Baruchel – nous ont dit que la culture canadienne était un peu vampirisée par la culture américaine…
Pas un peu. Plus je voyage, plus je m’en rends compte. En tant que Canadiens, nous sommes très conscients que les deux identités sont différentes. Mais à l’étranger, les gens ont du mal à les distinguer. Au milieu des années 90, je suis venu à Paris et je regardais le Pariscope. Mon film était à l’affiche, ainsi que celui de David Cronenberg. Et ils étaient tous les deux décrits comme (en français dans le texte) ‘films américains’. Je me souviens avoir appelé l’ambassade. (Rires.) Ils m’ont répondu qu’ils n’y pouvaient absolument rien. Quand je parle du cinéma canadien, j’inclus le Québec bien sûr. Mais pas les Français, qui font la distinction. Il y a peu de réalisateurs canadiens anglophones… Moi, David Cronenberg, Guy Maddin… Pensez-vous à d’autres noms, si je vous demande de les citer?

Sur le vif ? Non, pas forcément.
Je comprends. C’est dommage, car il y en a d’autres. Mais nous sommes perpétuellement en compétition avec les films indépendants américains. Et c’est difficile d’obtenir une reconnaissance. Jay a totalement raison. Pourtant, au Canada, nous avons une incroyable tradition littéraire, une superbe culture musicale et artistique.

On voit le potentiel hollywoodien de CAPTIVES. Avec un peu plus d’‘héroïsme’, cela aurait pu être PRISONERS… C’est important pour vous de ne pas succomber aux codes américains ?
C’est un privilège de ne pas avoir à les utiliser. Comme je vous disais, il n’y a aucun compte à rebours dans CAPTIVES, là où PRISONERS ne repose que sur ce principe, sur qui est le kidnappeur et sur la manière dont oui ou non ils vont récupérer la petite. C’est un film brillant bien sûr. Mais c’est la même mécanique que RANÇON. Il y a une tradition cinématographique –qui remonte à M, LE MAUDIT – du film sur la disparition d’enfants et elle exploite généralement la panique autour de l’événement. Dans CAPTIVES, le postulat est qu’en huit ans, personne ne l’a retrouvée.

Vous avez une longue carrière, vous êtes un auteur affirmé. Est-ce que, malgré tout, vous êtes curieux de jeunes cinéastes?
Je regarde énormément de films et je peux vraiment m’enthousiasmer pour de tout jeunes réalisateurs. Après Cannes, pendant quelques mois, j’ai pu aller dans des festivals plus confidentiels. Lorsque j’étais à Gand, en Belgique, j’ai vu un premier film formidable: HIDE AND SEEK, de Joanna Coates, qui a également gagné le Michael Powell Award du meilleur premier film au Festival d’Edinbourg. Au Mexique, au Festival de Los Cabos, j’ai découvert GUEROS, lui aussi fantastique. C’est le problème, quand vous allez à Cannes avec un long-métrage : vous n’avez absolument pas le loisir d’être curieux. Vous êtes immergé dans autre chose. Cet automne, j’ai pu me souvenir que les festivals sont aussi là pour prendre du plaisir avec les films des autres. Tenez, c’est comme ça que j’ai pu découvrir TU DORS NICOLE de Stéphane Lafleur. Il faut toujours être étonné par la richesse de la forme cinématographique. (Il réfléchit) C’est comme ça que j’ai appris à connaître Xavier Dolan, dont j’avais adoré J’AI TUÉ MA MÈRE. C’est un peu triste mais je me sens peut-être plus connecté au cinéma québécois qu’au cinéma canadien anglophone, dont l’évolution m’est un peu plus étrangère, bizarrement. Mais c’est sûrement ma faute.

Il y a un désir de transmission chez vous dans le simple fait que vous donnez de nombreux cours en faculté…
Oui ! Et ce sont des sessions intéressantes, il me semble, car elles sont très honnêtes. Je montre mes films et on les critique. Les étudiants peuvent me poser toutes les questions qu’ils veulent sur les décisions que j’ai prises à la mise en scène. Le cours s’appelle ‘le cadre’ et nous passons en revue les films plan par plan et les décisions qui ont motivé ces plans. Cette année, on va se concentrer sur le procédé d’adaptation. Ils doivent lire ‘De Beaux Lendemains’ de Russell Banks et on va étudier l’adaptation. On va regarder NATHALIE et on étudiera la manière dont je l’ai remaké avec CHLOE. Ce sont des analyses critiques très intenses.

DEVIL’S KNOT, intitulé chez nous LES 3 CRIMES DE WEST MEMPHIS, n’est pas sorti au cinéma en France, mais directement en vidéo. C’est blessant?
Ça l’est quand j’arrive à mon magasin préféré, dans le Xe arrondissement, et que je vois le DVD dans les rayons. ‘Oh mon Dieu’ (Rires.) La jaquette est vraiment étrange, je trouve. Il y a le nom des stars en gros et sous mon nom, il est mentionné CAPTIVES. Alors qu’il n’est même pas encore sorti! (Il réfléchit) Je sais pourquoi j’ai fait ce film. Je trouvais le projet fascinant, parce que le crime en question était extrême et il n’y avait pas de résolution. C’est très pervers lorsqu’il n’y a pas de structure amenant à une conclusion dans un film. C’est d’ailleurs ce qui m’intéressait. J’ai combiné plusieurs genres: le mystère criminel, l’horreur, le film de tribunal. J’ai tout mixé. Peut-être était-ce un choix étrange… Mais j’avais envie d’essayer. Ça fait longtemps que je n’ai pas vu le film… Je comprends pourquoi il n’a pas atteint les salles ici, mais ça a été une sacrée piqûre de rappel pour moi. Vous l’avez vu?

Oui, à Toronto, en 2013.
Et soyez honnête, qu’en avez-vous pensé?

Je n’avais pas aimé du tout.
C’était parce qu’il n’avait pas de style ?

Il y en avait trop de différents. Et aucun genre ne sortait du lot. En fait, il n’y avait aucune identité derrière le film. Et les cartons de fin étaient vraiment très explicatifs.
C’est vrai. Pour moi, ce qui était fascinant, c’était cette configuration assez unique d’un crime sans conclusion. Mais c’était vraiment un exercice trop pervers. Et puis, vous avez vu les documentaires de HBO et d’Amy Berg, j’imagine, en plus?

Oui.
C’est un problème, en effet. Si vous avez vu les documentaires sur le sujet, DEVIL’S KNOT est un film complètement inutile. Mais pour ceux qui ne les auraient pas vus, il y a peut-être quelque chose de fascinant dedans.

Quand vous dites que cela a été une piqûre de rappel, que voulez-vous dire?
Que vous ne pouvez pas faire quelque chose sans penser aux répercussions sur votre carrière. Je suis content que le film ne soit pas sorti en France, car si ça avait été le cas, j’aurais alors dû le défendre. Et je ne pense pas être assez fort pour le faire. Pourtant, le projet m’intéressait beaucoup à la base. Un crime terrible que rien ne peut expliquer… L’une de mes erreurs a aussi été de ne pas avoir regardé les documentaires de la chaîne HBO. De plus, le temps que DEVIL’S KNOT soit projeté pour la première fois, l’autre documentaire, celui d’Amy Berg, WEST OF MEMPHIS, est sorti et le film est incontestablement meilleur que le mien. Impossible de rivaliser. L’exercice était intéressant, mais le processus a pris trop de temps. Le montage a été trop long car raconter l’histoire était très difficile. Et puis, on m’avait promis huit semaines de tournage et on m’a finalement octroyé 25 jours. On a travaillé vite et ça se voit. C’était aussi la première fois que j’utilisais le digital et même si je collaborais avec mon chef opérateur habituel, nous n’avons pas pleinement compris comment ‘peindre’ le film. Nous l’avons compris après, en faisant CAPTIVES. Cela prend plus de temps de faire une belle image en numérique, comparé à la pellicule.

En tant que réalisateur de fiction, vous pouvez vous sentir impuissant face à la réalité d’un documentaire ?
Oui. Vous avez vu THE ACT OF KILLING ? Moi, ça m’a décroché la mâchoire. C’est une histoire totalement hors du commun de gens dans le déni total. Ils étaient dans le déni du génocide, ils étaient fiers, ils n’avaient jamais été poursuivis. C’est quand on leur demande de ‘rejouer’ leurs exactions qu’ils commencent à se sentir coupables. Quand on y pense, le réalisateur n’était pas parti pour faire ce film. C’est le hasard qui l’a poussé vers ces gens. C’est incroyable.

EXOTICA, qui vous a largement fait connaître du grand public, a 20 ans cette année. Quels souvenirs en avez-vous ?
C’était une période formidable pour les réalisateurs indépendants. Et c’était une année géniale. Ne serait-ce qu’en matière de storytelling fragmenté, il y avait EXOTICA, BEFORE THE RAIN (de Milcho Manchevski, film macédonien nommé à l’Oscar du Meilleur film étranger, ndlr) et PULP FICTION. Trois films qui expérimentaient sur la chronologie narrative et qui ont reçu un bon accueil du public.

Et aujourd’hui, diriez-vous que l’époque est formidable pour les réalisateurs indépendants ?
C’est une époque très excitante pour faire des films. Et la qualité de la production est même excellente en ce moment. C’est plus difficile d’avoir un public. Regardez Joanna Coates, dont je vous parlais tout à l’heure. C’est incroyable mais HIDE AND SEEK, qui a tout de même gagné un prix très prestigieux, n’a pas de distributeur en Grande-Bretagne, son propre pays d’origine. Il y a très peu de distributeurs qui peuvent s’occuper d’un film comme ça. Mais si elle veut, elle peut mettre son film sur Vimeo, il sera partagé très facilement. Faire un film, le montrer, ce n’est pas compliqué aujourd’hui. Mais si un réalisateur rêve d’exploitations en salles, alors ça peut devenir difficile.

CAPTIVES, d’Atom Egoyan. En salles
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