FRANK : chronique

04-02-2015 - 13:25 - Par

L’anticonformisme comme forme de folie et l’art comme moyen de vivre avec : derrière son absurdité, FRANK se révèle poignant.

Engoncé dans son travail de bureau guère épanouissant, Jon (Domhnall Gleeson) ne rêve que de musique et de composer une grande chanson. Il rencontre un jour The Soronprfbs (sic!), groupe de rock indé mené par Frank (Michael Fassbender), qui passe son existence caché sous une tête en papier mâché… Frank, le personnage, a vraiment existé: il fut créé en 1984 par le performer et musicien anglais Chris Sievey, qui en fit son alter ego comique à la télé, sur scène ou à la radio. Devant FRANK, le film, les amateurs des Monty Python devraient plus que prendre leur pied: tirant parti du décalage créé par son héros titre, le nouveau film de Lenny Abrahamson manie l’absurdité avec un brio désarmant. Ici, on croise un Français parlant uniquement dans la langue de Molière, même à ses collègues anglais qui n’en connaissent pas un traître mot, on entend d’excellentes chansons électro-bruitistes intitulées « Ginger Crouton » et on assiste, médusé, à des situations lunaires suscitant une hilarité souvent inopinée. Pourtant, en dépit de son pitch et de son univers bizarres, FRANK n’a aucune envie de lorgner vers la farce. Et il fallait tout le talent de Lenny Abrahamson pour aller au-delà de ce gimmick qu’est la fausse tête de Frank, pour regarder au-delà de l’oripeau trompeur qu’est l’air ingénu et émerveillé de Jon. Tout comme dans le sublime GARAGE, dans lequel il avait conté avec tact l’isolement (physique, émotionnel, mental) d’un « idiot du village », le réalisateur irlandais parvient une nouvelle fois à se jouer des clichés et à creuser la psychologie de personnages qui auraient pu vite être réduits à d’extravagants marginaux. De délire farfelu, FRANK se mue vite en chronique désespérée d’un anticonformisme que nos sociétés n’osent comprendre ou célébrer. Une mise au ban des « étranges » de tout poil, dont la folie –littérale ou figurée– tranche avec un cynisme ambiant parfois fortuit ou pavlovien. Frank et ses compagnons, dont on sait dès le départ qu’ils ont tous plus ou moins séjourné en hôpital psychiatrique, se libèrent de leurs fardeaux grâce à leur créativité débridée. Du portrait de ces êtres qui, dans leur incapacité à s’intégrer ou à se conformer, dévoilent leur peur d’aimer et surtout de ne pas être aimés, Abrahamson tire un dernier acte aride, ardu et bouleversant. Soit l’hommage parfait à Chris Sievey : plutôt qu’un biopic classique, Abrahamson et son scénariste Jon Ronson – qui a côtoyé Sievey – signent une esquisse fictionnelle célébrant l’esprit frondeur d’un artiste à part. Et, de fait, celui de tous les iconoclastes : « I Love You All », scande la chanson du générique de fin.

De Lenny Abrahamson. Avec Michael Fassbender, Domhnall Gleeson, Maggie Gyllenhaal. Irlande / Royaume-Uni. 1h35. Sortie le 4 février

 

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