BIG EYES : chronique

18-03-2015 - 08:49 - Par

Un plaidoyer féministe grâce auquel Tim Burton assoit plus que jamais son univers tout en sortant enfin de son esthétique gothique.

Tim Burton a beau avoir souvent trébuché, tous ses films, même les plus décevants, ont toujours affiché des qualités irréfutables. Mais il peinait depuis dix ans et BIG FISH à renouveler sa grammaire ou, tout simplement, à convaincre pleinement. Jusqu’à BIG EYES – on laissera à d’autres l’analyse de cette concordance des titres. Fin des années 50 : Margaret, peintre en devenir, quitte son mari, sa fille sous le bras. Elle rencontre Walter Keane, peintre également, et en tombe amoureuse. Alors qu’ils luttent pour faire connaître leur Art, Walter s’approprie un jour l’œuvre de Margaret – des toiles d’enfants tristes aux yeux gigantesques qui feront leur fortune… Du véritable destin de Margaret et Walter Keane, Burton tire une évidente analyse de la confrontation entre « culture haute » et « culture basse », bon et mauvais goût, Art et commerce : un débat qu’il résume avec ironie dès les premiers instants du film, en juxtaposant des posters reproduits à la chaîne et une citation de Warhol. Un point d’entrée rigolard qui permet à Burton de déplacer ensuite subtilement son point de vue en se focalisant davantage sur l’artiste que sur son Art : en creux, derrière l’étrangeté des toiles de Margaret se cache évidemment le cinéaste lui-même, en un autoportrait délicat et mélancolique. Lui- même enfant des 50’s et 60’s, d’une époque où s’affrontaient conformisme et avant- garde, Burton offre à BIG EYES un écrin esthétique à mille lieues de son univers habituel : se présentant comme une sitcom féminine style I LOVE LUCY ou MA SORCIÈRE BIEN-AIMÉE, BIG EYES se transforme ensuite en conte déviant, où l’artiste est un monstre que l’on parque dans un sombre donjon, pour muter enfin en soap opéra 70’s digne de DALLAS ou DYNASTIE. BIG EYES se révèle d’autant plus surprenant qu’en embrassant et en sublimant ces esthétiques banales et rebattues, il en dit presque plus sur l’étrangeté et la solitude désespérée de l’original que bien des films « gothico- iconoclastes » récents du réalisateur. Il faut dire que Burton, cinéaste des marginaux dont la société ne sait que faire (les aimer ? les célébrer ? les craindre ?), trouve en BIG EYES l’occasion de livrer un plaidoyer féministe vibrant, porté par la prestation tantôt électrique tantôt résignée d’Amy Adams – dommage que Christoph Waltz ait tendance à tirer le film vers le bas. Bafouée, niée, spoliée, prisonnière d’un homme qui minimise les sentiments de son épouse et manipule son amour pour nourrir son ego : Margaret Keane a tout d’une femme battue. La voir répliquer et prendre le dessus n’est pas la moindre des euphories provoquées par BIG EYES.

De Tim Burton. Avec Amy Adams, Christoph Waltz, Krysten Ritter. États-Unis / Canada. 1h45. Sortie le 18 mars

 

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