Cannes 2015 : DHEEPAN / Critique

21-05-2015 - 14:15 - Par

De Jacques Audiard. Sélection officielle, en compétition.


Pitch : Dheepan est un combattant de l’indépendance tamoule, un Tigre.
La guerre civile touche à sa fin au Sri Lanka, la défaite est proche, Dheepan décide de fuir. Il emmène avec lui une femme et une petite fille qu’il ne connaît pas, espérant ainsi obtenir plus facilement l’asile politique en Europe.
Arrivée à Paris, cette « famille » vivote d’un foyer d’accueil à l’autre, jusqu’à ce que Dheepan obtienne un emploi de gardien d’immeuble en banlieue.
Dheepan espère y bâtir une nouvelle vie et construire un véritable foyer pour sa fausse femme et sa fausse fille.
Bientôt cependant, la violence quotidienne de la cité fait ressurgir les blessures encore ouvertes de la guerre.
Le soldat Dheepan va devoir renouer avec ses instincts guerriers pour protéger ce qu’il espérait voir devenir sa « vraie » famille.

En mettant en scène un ancien Tigre tamoul, venu en France avec une fausse femme et une fausse fille afin de s’offrir une nouvelle vie et des papiers, Jacques Audiard s’autorise, six ans après UN PROPHÈTE, une seconde critique acerbe de la France. En 2009, il assassinait son système carcéral en arguant qu’il était en partie à l’origine du banditisme. Aujourd’hui, il en fait du petit bois en faisant un parallèle entre la guerre civile au Sri Lanka et la situation dans les cités. Quitte à ce que ce soit mélodramatique. Il s’agit-là, surtout, de créer un prétexte pour le sujet central du film : la violence comme seul langage universel. Dans DHEEPAN, il y a le fil rouge du dialogue impossible, de l’isolement que ressent celui qui ne peut pas communiquer. En revanche, alors que diverses langues se côtoient dans ces barres d’immeubles, un coup de fusil est compris par tous. Audiard fait de cette tranche de vie de Dheepan au sein de la cité du Pré (ironie du bien-vivre) un western urbain un peu trop yi-ha pour être honnête. Bracelet électronique à la cheville, Brahim (Vincent Rottiers) tire en direction des nuages pour tout cri de ralliement autour de ses potos. Règlements de compte sauvages, terrain de non-droit : sous le prétexte du réalisme, une France dépeinte comme un pays en guerre. Manquerait plus que nos jeunes torturent des chatons au fil barbelé et l’on comprendrait enfin ce qu’est une no-go zone. Forcément Dheepan perd patience et lui qui avait fui le conflit dans son pays, qui avait tout perdu arme au poing, retrouve cette ultraviolence qui a forgé ses instincts. Car la guerre, c’est un monstre qui reste avec vous toute votre vie. Et ceux qui règnent sur le kilomètre carré en bas de leur immeuble feraient bien mieux de craindre la colère du Tamoul plutôt que le gang rival. Avec son air bonhomme et sa situation précaire (Jesuthasan Anthonythasan, en route pour le prix d’interprétation masculine), on prenait Dheepan pour une victime. Mais il est hanté. Avec sa maîtrise de la mise en scène, cette manière bien à lui d’insuffler une indicible puissance émotionnelle et physique à chaque plan, Audiard prend la voie du film de genre, à la ferveur ésotérique transpirante. C’aurait été parfait, non ? On aurait compris ce portrait français nihiliste. Pourtant, le cinéaste préfère dépouiller DHEEPAN de fiction et en fait un film sur l’immigration moderne, plus intrinsèquement social qu’UN PROPHÈTE, fort d’un épilogue problématique. On ne sait plus à qui il veut offrir une rédemption, ni s’il veut hiérarchiser le crime. Il tire tellement à boulet rouge sur le pays qu’il idéalise le bon-vivre ailleurs. La France n’est plus une terre d’accueil mais Audiard ne sachant pas à qui imputer la faute, il schématise. Alors on se gratte la tête : pour la première fois, on pense qu’il y a un malentendu entre lui et nous.

De Jacques Audiard. Avec Antonythasan Jesuthasan, Kalieaswari Srinivasan, Claudine Vinasithamby. France. 1h49. Sortie le 26 août 2015

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