Cannes 2015 : YOUTH / Critique

20-05-2015 - 11:12 - Par

De Paolo Sorrentino. Sélection officielle, en compétition.


Pitch : Fred et Mick, deux vieux amis approchant les quatre-vingts ans, profitent de leurs vacances dans un bel hôtel au pied des Alpes. Fred, compositeur et chef d’orchestre désormais à la retraite, n’a aucune intention de revenir à la carrière musicale qu’il a abandonnée depuis longtemps, tandis que Mick, réalisateur, travaille toujours, s’empressant de terminer le scénario de son dernier film. Les deux amis savent que le temps leur est compté et décident de faire face à leur avenir ensemble.
Mais contrairement à eux, personne ne semble se soucier du temps qui passe…

Définitivement, Paolo Sorrentino aime les titres cultivant le paradoxe – ou donnant l’illusion de le faire. Après LA GRANDE BELLEZZA et son étude de la vacuité vulgaire, voici donc YOUTH, dont les deux héros sont des octogénaires en fin de carrière et de vie, campés par Michael Caine et Harvey Keitel. L’un est un ancien compositeur et chef d’orchestre que la Reine d’Angleterre souhaite faire sortir de sa retraite. L’autre un cinéaste de prestige qui tente de monter un nouveau projet avec son actrice-muse en vedette et, qui pour ça, s’entoure d’une poignée de jeunes scénaristes acquis à sa cause. Avec le temps, Paolo Sorrentino s’est adouci : fini l’hystérie outrancière de projets comme L’AMI DE LA FAMILLE ou IL DIVO. Désormais, le cinéaste italien lévite entre grâce et volupté, tout en conservant ce génie plastique ahurissant qui traverse tous ses films – photographie, composition, découpage, montage, illustration sonore : tout est pensé, millimétré, dirigé vers l’intention émotionnelle. Ici encore, Sorrentino met de l’ordre esthétique partout, même là où il ne devrait pas y en avoir (une file de clients d’un spa, une brochette de mêmes clients allongés dans une piscine etc). La caméra de Sorrentino est aérienne, son montage élégiaque, les visages de ses acteurs captés avec une intensité folle – surtout quand ceux-ci ont le poids des années vécues par Caine et Keitel. La musique pop, comme toujours, a elle aussi sa place – la première séquence est une reprise dantesque de « You Got The Love » de Candi Staton, on entend et on voit également Mark Kozelek alias Sun Kil Moon assumant une sorte de rôle de griot discret. Une pop à l’importance vitale qui rythme YOUTH et donne vie à une galerie de personnages étranges (un moine bouddhiste, une femme orientale, une masseuse adepte de jeux vidéo, un enfant violoniste etc) dont le ballet tantôt ordonné, tantôt chaotique et comique, a fort à faire dans l’ambiance enchanteresse du film. Mû par un humour complice de chaque instant, YOUTH chronique le temps qui passe, les souvenirs qui se délitent, les regrets qu’on accumule, les rancœurs aussi. Les efforts que chacun fait pour améliorer la vie d’autrui, souvent pour des « résultats insignifiants ». YOUTH sonde les regards fatigués de ceux n’ayant plus rien à prouver, de ceux qui essaient encore. Sorrentino passe en une seconde du grotesque au poétique, du splendide au vulgaire, en une sorte de ballet baroque où le trivial l’emporte parfois sur l’essentiel, où la simplicité est déroulée sous des apparats volontairement et artificiellement complexes. Dans YOUTH, une gamine de douze ans peut délivrer une leçon de vie à un acteur en plein doute existentiel et Harvey Keitel peut dire le plus sérieusement du monde que « l’émotion, c’est tout ce qu’on a ». Pourtant, derrière ces atours luxueux et glamour, derrière cette ostentation et ce maniérisme, Sorrentino déborde d’une sincérité évidente. Son propos n’est pas feint. La grâce de YOUTH tient à rien : à un brisement de voix de Michael Caine contenant un univers d’émotions déchirantes. À un sourire de Paul Dano dans lequel réside une sourde frustration qui éclate à l’écran sans la moindre effusion. YOUTH, c’est sans doute ça : un volcan en fusion de sentimentalisme, qui tente de cacher son chaos émotionnel derrière une esthétique frivole et une écriture ironique – quitte à déraper parfois dans le troisième acte et sa peinture sarcastique du monde du cinéma. « Nous sommes des incompris car nous nous sommes laissés aller à un peu de légèreté », explique le personnage de Paul Dano. Une réplique en forme de profession de foi. Sans doute la plus marquante et la plus bouleversante des films en compétition à ce Festival de Cannes 2015.

De Paolo Sorrentino. Avec Michael Caine, Harvey Keitel, Rachel Weisz. Italie. 1h58. Prochainement

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