Cannes 2015 : CAROL / Critique

17-05-2015 - 11:15 - Par

De Todd Haynes. Sélection officielle, En Compétition.

Pitch : Dans le New York des années 1950, Therese (Rooney Mara), jeune employée d’un grand magasin de Manhattan, fait la connaissance d’une cliente distinguée, Carol (Cate Blanchett), femme séduisante, prisonnière d’un mariage peu heureux.  À l’étincelle de la première rencontre succède rapidement un sentiment plus profond. Les deux femmes se retrouvent bientôt prises au piège entre les conventions et leur attirance mutuelle.

Que Patricia Highsmith, écrivaine du trouble sophistiqué, soit adaptée au cinéma par Todd Haynes, cinéaste de l’anticonformisme et du diktat des conventions, sonnait comme une évidence. Que le réalisateur de SAFE, LOIN DU PARADIS ou VELVET GOLDMINE ait choisi « Les Eaux dérobées », chronique dans les 50’s d’un amour interdit entre femmes, apparaissait même comme l’association rêvée. Comme l’assurance d’un grand film « haynesien ». Ce n’est malheureusement pas le cas. Non pas que CAROL soit un ratage complet. Loin de là. Mais il n’a pas la puissance d’évocation habituelle du travail de Haynes et pourrait même laisser totalement indifférent – un comble quand on connaît ses films et ses thèmes de prédilection ! Tout débute merveilleusement bien, avec un premier plan splendide – une caméra aérienne traverse une artère new-yorkaise. Le cinéaste filme alors avec la délicatesse qu’on lui connaît. Ici, un geste anodin pourtant lourd de sens qui, en public, ne peut se permettre de signifier quoi que ce soit de plus. Là, une discussion entre quatre jeunes gens, devisant de leur envie de voir, vivre, respirer plus grand, de bâtir un lendemain qui chante dans lequel ils vibreraient passionnément pour leur travail, sans avoir à nourrir un système construit par leurs aînés. Haynes aligne quelques doubles sens et sous-entendus savoureux – « Je sais à peine quoi choisir au menu », dit Thérèse / Rooney Mara à un déjeuner avec Carol / Cate Blanchett. CAROL prend son temps, bâtit une belle atmosphère feutrée, retenue qui, très rapidement, ne va pas suffire. Car même si l’amour entre Carol et Thérèse est pur et sincère, il n’en demeure pas moins interdit. Or, jamais Haynes ne fait vraiment sentir le poids de la société sur les deux femmes. Bien sûr, il érige entre elles la figure du mari de Carol et une intrigue autour de la garde de leur fille. Mais même ce nœud dramatique ne parvient jamais à entrechoquer les destins, à bousculer les sentiments : dans CAROL, il semble que les êtres ne pénètrent jamais dans la bulle d’autrui, ne franchissent jamais une frontière de sécurité policée. Tout ici reste froid et clinique, rien ne dépasse, tout se fige dans le non-dit et l’intellect. Un parti-pris étrange : alors qu’Hayne ne reconstitue pas les 50’s, il les fait littéralement exister de manière palpable, il semble incapable (ou réticent) de les filmer telles qu’elles étaient. Jamais Carol ou Thérèse n’auront ainsi à subir l’ire, la moquerie ou l’humiliation. Impossible alors, de trembler pour leur passion, qui demeure inexorablement inconséquente. Impossible de ressentir les enjeux tragiques de leur amour impossible. De sentir vibrer leur confrontation à une société guindée et moralisatrice qui refuse intrinsèquement l’amour et la passion, peu importe leur forme. CAROL n’a rien d’un mélodrame, il lui manque l’effusion, la révolte, l’engagement, les larmes de colère ou de joie – une carence en partie due à l’image d’icône cosmétique un peu snob de Cate Blanchett, qui prive son personnage d’être réellement sexué et charnel. CAROL a beau fasciner par le tact de certaines de ses intentions, par le brio de sa mise en scène ou par l’interprétation (particulièrement Rooney Mara, Sarah Paulson et Kyle Chandler), il ne vibre jamais, il joue trop sur la retenue. Pourtant, dès que Todd Haynes ose le lâcher prise – une superbe scène de sexe, une bouleversante dispute autour de la garde de la fille de Carol et son mari –, CAROL frise le sublime, vit enfin pleinement, devient sensoriel. Là, on découvre le film que CAROL aurait pu être. Car, alors que les héroïnes sont anticonformistes – comme à l’accoutumée dans le cinéma de Todd Haynes –, CAROL ne l’est jamais vraiment. Jamais déstabilisant, il marche dans les clous, dans un certain charme glamour de papier glacé, reste à distance. Soit l’antithèse de ce qu’est l’œuvre de Todd Haynes.

De Todd Haynes. Avec Cate Blanchett, Rooney Mara, Kyle Chandler. États-Unis. 1h58. Prochainement

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.