Cannes 2015 : THE LOBSTER / Critique

15-05-2015 - 15:29 - Par

De Yorgos Lanthimos. Sélection officielle, en compétition.


Pitch : THE LOBSTER relation une histoire d’amour peu conventionnelle, dans un futur dystopique où les célibataires sont arrêtés et transférés à l’Hôtel. Là-bas, ils sont obligés de trouver leur âme sœur en 45 jours. S’ils n’y parviennent pas, ils sont changés en animal de leur choix et lâchés dans les bois. Un homme désespéré s’échappe de l’Hôtel vers les bois dans lequel les Solitaires vivent. Et même si c’est contraire au règlement, là-bas, il tombe amoureux.

Une femme dans une voiture. Il pleut. Elle sort. Nous restons dans l’habitacle. Par le pare-brise noyé, on découvre un champ où paissent deux ânes. La femme, excédée, traverse l’étendue herbeuse, sort une arme et abat l’âne. Générique de début. En quelques minutes, Yorgos Lanthimos pose le programme de son film. Ou plutôt rappelle à tous ceux qui ne le savaient peut-être pas encore que ce jeune réalisateur grec est capable de tout ! Avec lui, on ne fait pas dans la tiédeur. Adepte d’un cinéma, pas tant radical que simplement mal-aimable, Lanthimos vient de frapper un grand coup sur la croisette avec THE LOBSTER. Si déjà en 2010, son CANINE avait secoué Un Certain Regard, on est plus que ravis, vraiment enchantés et bluffés que son entrée dans la compétition se fasse avec ce film étrange, jusqu’au-boutiste et étrangement accessible. THE LOBSTER est un film d’horreur sur le sentiment amoureux aussi hilarant qu’angoissant. Au-delà de son pitch taré, extrêmement bien tenu, le film construit un univers froid, réglé où le sentiment n’est plus quelque chose qui transcende mais bien qui se contrôle et s’organise. À l’heure de Tinder et de Meetic, difficile de ne pas voir la portée sarcastique et jubilatoire d’un film qui décrit le totalitarisme amoureux et l’obligation du couple. Si on ricane un temps devant cet hôtel étrange où l’on vous apprend « qu’être deux c’est toujours mieux », le film saisit aussi très bien l’angoisse du solitaire dans un monde qui fonctionne par paire. Des rangées de tables unitaires face à des couples qui roucoulent, la gaucherie d’un thé dansant où l’on cherche à être aimé, la juxtaposition des chambres d’hôtel au lit single, Lanthimos distille graphiquement une peur sourde que la menace de la transformation finale renforce. C’est étrange, absurde évidemment, mais sacrément séduisant et efficace. Un peu à l’instar de la formidable série MAN SEEKING WOMAN, le film réussit à rendre compte de l’angoisse profonde, de la violence quotidienne que produit une société où l’Amour est un Idéal nécessaire. Mais le réalisateur a l’intelligence d’aller un peu plus loin, quitte même à prendre le risque de sortir de la zone de confort que la première partie brillante de son film lui offrait. Tandis que son personnage s’échappe, le film s’amuse à prendre le contrepoint, c’est-à-dire à interroger la haine du couple. On pourrait trouver ça facile, d’annuler ainsi les points de vue. Pas si simple ! La seconde partie, certes plus faible, réussit à dépasser la dimension totalitariste et dystopique du film pour creuser plus profondément encore dans les recoins sombres du sentiment. Don de soi, espoir, mensonge, cruauté, le film interroge la relation à l’autre en montrant que tout tient d’un engagement compliqué et peut-être éphémère. La love story qui naît dans ce milieu hostile en devient doucement émouvante. Comme si ces célibataires résignés (résurrection totale de Colin Farrell, bluffant en héros sans qualité) s’offraient un dernier tour de piste, en faisant semblant d’y croire à nouveau. La force du film tient finalement dans son étrange acuité, par sa manière de transformer les blessures narcissiques amoureuses de tout un chacun en un univers cinématographique retors et entêtant.

De Yorgos Lanthimos. Avec Colin Farrell, Rachel Weisz, Ben Whishaw. Grèce / Grande-Bretagne. 1h58. Prochainement

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.