Cannes 2015 : CHRONIC / Critique

22-05-2015 - 16:20 - Par

De Michel Franco. Sélection officielle, En Compétition.

Pitch : Aide-soignant, David travaille auprès de personnes en phase terminale. Méticuleux, efficace et passionné par son métier, il noue des relations qui vont bien au-delà du cadre médical et instaure une véritable intimité avec ses patients. Mais dans sa vie privée, David est inefficace, maladroit et réservé. Il a besoin de ses patients tout autant qu’ils ont besoin de lui.

Après les malaisants et exagérément choquants DANIEL & ANA (un frère et sa sœur sont kidnappés et forcés de coucher ensemble devant la caméra) et DESPUÉS DE LUCIA (une jeune fille est torturée moralement et physiquement par ses « camarades de classe »), on ne pouvait qu’attendre avec effroi de subir CHRONIC, le nouveau film du cinéaste mexicain Michel Franco, puisqu’on y suit David, un infirmier spécialisé dans les patients en fin de vie et les soins palliatifs. Après une courte introduction, Michel Franco rentre immédiatement dans le lard de son public : plan long et fixe, frontal, une jeune femme cadavérique assise sur une chaise dans sa douche est lavée par son infirmier. Ce dernier est campé par Tim Roth qui, en 2012, en tant que président du jury Un Certain Regard, avait offert le Grand Prix de la section parallèle à… DESPUÉS DE LUCIA. À bien des égards, l’acteur anglais est l’ancre sans laquelle CHRONIC coulerait sans aucun doute corps et bien. Armé d’une dignité très touchante, Roth donne corps à son personnage – et au film – avec énormément de sobriété, présence humaine et douce dans les cadres froids et roides de Franco – la caméra, souvent fixe, prend la place d’un observateur dénué de toute émotion. Pourtant, en dépit de ce choix esthétique, CHRONIC n’a rien d’une œuvre distanciée, tant le cinéaste accumule les plans « choc » – un corps frappé de paralysie et dénudé par ici, une malade du cancer se déféquant dessus par là – pour rendre compte crûment d’une réalité douloureuse. Chronique d’un dévouement et d’une solitude, le film se révèle bien plus convaincant dans son étude de personnage. Un homme seul, abattu, cachant un lourd passé et qui refuse tout contact réel avec les proches de ses « clients », mais qui se saisit pourtant de leur existence pour s’en créer une. Une patiente meurt du Sida ? Il prétend un soir, au comptoir d’un bar, qu’elle était son épouse. Un autre patient est architecte ? Il se fait passer pour son frère pour visiter une de ses maisons. David crée tant d’intimité dans son travail que sa relation avec ses patients est son propre soin palliatif, un substitut à des liens qui lui manquent au quotidien. Sans doute parce que David, en volant temporairement et sans malice la vie de ses clients pour s’en créer une, impose sa réalité. Lui qui, aux yeux du monde, n’existe pas – puisqu’il nous renvoie l’image de notre propre mortalité. À la fois poignant et inquiétant, David demeurera comme l’un des personnages les plus marquants du Festival de Cannes 2015. Dommage qu’il soit à ce point desservi par son créateur réalisateur. Car si les premiers plans « choc » de CHRONIC se justifient pour rendre palpable le lien entre David et ses patients, ils deviennent plus inutiles au fil du film. Mais Franco persiste à les aligner froidement et, paradoxalement, amoindrit ce faisant la force dramatique et émotionnelle de son film. Car chaque image élève une barrière répulsive entre le public et David. Mais il y a pire : à force de chercher le coup de poing, Franco dérape une ultime fois en donnant à CHRONIC la fin la plus dramaturgiquement forcée et la plus idiote qui soit. Un gâchis en bonne et due forme.

De Michel Franco. Avec Tim Roth, Bitsie Tulloch, Sarah Sutherland. États-Unis. Prochainement

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