Cannes 2015 : LOVE / Critique

21-05-2015 - 13:28 - Par

De Gaspar Noé. Sélection officielle, hors compétition, séances de minuit.

Pitch : Un 1er janvier au matin, le téléphone sonne. Murphy, 25 ans, se réveille entouré de sa jeune femme et de son enfant de deux ans. Il écoute son répondeur. Sur le message, la mère d’Electra lui demande, très inquiète, s’il n’a pas eu de nouvelle de sa fille disparue depuis longtemps. Elle craint qu’il lui soit arrivé un accident grave. Au cours d’une longue journée pluvieuse, Murphy va se retrouver seul dans son appartement à se remémorer sa plus grande histoire d’amour, deux ans avec Electra. Une passion contenant toutes sortes de promesses, de jeux, d’excès et d’erreurs…

C’est peu dire que le nouveau film de Gaspar Noé était sur toutes les lèvres à Cannes. Présenté comme un film pornographique en 3D, LOVE s’annonçait comme la machine à scandale dont le festival raffole. Au sortir de la bouillonnante séance de minuit, on peut d’ores et déjà compter les déçus, et tant mieux. LOVE n’est pas un film provoc, LOVE n’est pas le film trash tant espéré par ceux qui voulaient s’offusquer tout en se rinçant l’œil. Non, LOVE n’est rien d’autre qu’une puissante et saisissante expérience de mélancolie ultime. C’est un film trip, comme tous les Noé. Mais ici le voyage proposé n’a rien du roller coaster habituel. On est plus proche des expériences introspectives et méditatives de la modernité européenne (Antonioni, Resnais, en tête) que du cinéma choc et clip des 90’s. LOVE est un film sur un cœur brisé, une déambulation hallucinée dans les souvenirs d’un amour gâché. Pas besoin de la machine à remonter le temps de JE T’AIME, JE T’AIME, ici. Noé orchestre des chevauchements temporels soudains, comme si le souvenir venait envahir le présent. D’un clignement d’yeux, matérialisé par des rapides fondus au noirs saisissants, on bascule d’un instant à un autre, de la blonde que l’on hait à la brune qui nous manque, de la brune que l’on a détruit à la blonde qui nous protège, du temps où l’amour était vibrant jusqu’à la désolation d’aujourd’hui.

Murphy, le héros, est un homme sans qualité. Un personnage détruit, vidé, qui traîne son cadavre intime dans de longs monologues. Comme d’habitude, Noé cherche l’épuisement du spectateur mais ici par la douceur et la tristesse. Récitatif, méditatif, introspectif, le film n’est pas une plongée profonde dans les affres de l’amour. C’est plutôt l’histoire d’un bug. D’un bug amoureux qui fait que l’on avance plus, qui fait que l’on cherche désespérément dans les instants vécus le moment où ça a cloché. Alors, le sexe filmé par Noé n’a rien de l’excitation attendue. En l’état, c’est l’anti- NYMPHOMANIAC. Le sexe n’a rien de politique, métaphysique ou même psychanalytique. Il filme les corps à corps de manière très prosaïque. C’est une mécanique huilée, un ensemble de gestes, une pantomime dont le sens attendu (l’amour) échappe volontairement à la caméra. Par la musique uniquement, il réussit à contextualiser la relation (tendue, complice, déchirante). L’acte sexuel en lui-même n’est que la répétition de geste, une chorégraphie épuisante que l’on répète à l’infini dans l’espoir de révéler quelque chose. D’avoir ne serait-ce qu’une certitude.

S’aimait-on mieux parce que l’on « faisait l’amour » ? Voilà ce qui hante Murphy. Le film s’ouvre ainsi sur une scène de sexe frontale, comme un cauchemar. Marcus se réveille. Le fantasme a un goût amer. Les yeux grands ouverts, il va errer, halluciné. LOVE n’est pas un film d’amour, c’est un film sur la perte, un film qui cherche dans les scènes pornographiques les traces d’un mystère sans jamais parvenir à le toucher du doigt. Si certains s’offusqueront de la misogynie probable du film (la jouissance n’y est filmée que du point de vue masculin), ce refus du partage donne peut-être les clés pour comprendre Marcus. LOVE n’est pas un film bandant, c’est un film badant. La 3D sert à découper l’espace, à écraser les corps par la profondeur pour empêcher toute sublimation. Si dans ENTER THE VOID (que le film s’amuse à citer) tout n’était qu’apesanteur, ici la lourdeur des corps, leur incapacité à se décoller du réel est la clé de voûte d’une mise en scène sidérante et amère. Il y a dans les jeux de perspectives, dans la manière de jouer sur les juxtapositions, les surgissements et les changements à vue, quelque chose d’un labyrinthe intime infernal vraiment remuant.

Comme d’habitude, Noé franchit un tout petit peu la ligne rouge et sur sa fin, LOVE tire un peu à la ligne. La mélancolie étirée, épuisée, s’écroule exsangue dans une salle de bain où une dernière étreinte, bouleversante, cherche à conjurer le sort par-delà les regrets et les remords. Dans LOVE on ne s’aime pas pour toujours, on se promet uniquement de s’aimer jusqu’à la fin. Comme si les histoires d’amour, comme les films, n’étaient qu’une question de montage.

De Gaspar Noé. France. Sortie le 15 juillet

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