Un portrait d’homme vieillissant qui danse sur trop de tableaux contradictoires mais qui cache quelques trésors émotionnels.
Après avoir étudié avec poésie le difficile rapport des trentenaires à leur masculinité dans PRINCE OF TEXAS, puis filmé de manière crasseuse et hard boiled une figure über virile dans JOE, David Gordon Green continue son portrait de l’homme contemporain avec MANGLEHORN. Cette fois, bond dans la chaîne de l’âge : il s’intéresse à la difficile confrontation entre la vieillesse et les regrets qu’elle engendre, via Angelo Manglehorn (Al Pacino), serrurier aigri et misanthrope qui rumine la perte de son grand amour de jeunesse, Clara. À ce fantôme du passé, Angelo écrit des lettres passionnées, mélancoliques, hantées par une tristesse indicible. MANGLEHORN se révèle à bien des égards contradictoire dans son mécanisme narratif. Tout chez ce serrurier devrait susciter le rejet: sa haine du monde, son refus de se connecter à autrui hormis à sa petite-fille –à ses yeux, personne n’a autant de valeur que Clara – ou sa façon d’entretenir des relations superficielles –notamment avec sa guichetière à la banque, campée par une émouvante Holly Hunter– en dressent un portrait antipathique. Pourtant, par la grâce de petits détails de mise en scène, par l’interprétation subtile de Pacino, Angelo finit par toucher. Sa solitude destructrice, ses « conversations » à cœur ouvert avec son chat, son quotidien morne et dépourvu d’un quelconque espoir crèvent même le cœur. « En moi, je n’ai que peine et frustration », dit-il, enragé, lors d’une dispute avec son fils (Chris Messina, parfait comme d’habitude). Ce portrait ambigu dans les émotions qu’il suscite s’avère d’autant plus troublant que Green l’enserre dans un écrin esthétique dénué de tout repère temporel, multipliant ou superposant les sources sonores et visuelles. Une recherche plastique similaire à celle de JOE qui souligne autant les tourments de l’âme d’Angelo qu’elle renforce l’esprit de contradiction du film –une réalisation complexe pour une histoire simple. Si bien qu’à force de brouiller les pistes et les stimuli, de nous faire détester puis aimer son personnage, David Gordon Green perd le fil. Une fracture dans le récit se fait jour, le parcours de Manglehorn prend un tournant décisif. Sauf que ce bouleversement semble justement trop soudain, amené sans grande justification narrative et psychologique. Un peu comme si Green, las d’étouffer dans le monde sclérosé et abîmé de Manglehorn, avait voulu remonter à la surface pour prendre une longue respiration salvatrice. Certes, une certaine magie naît à l’écran de la subite prise de conscience d’Angelo. On aurait juste aimé qu’elle soit un tant soit peu plus justifiée.
De David Gordon Green. Avec Al Pacino, Holly Hunter, Chris Messina. États-Unis. 1h37. Sortie le 3 juin
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