Toronto 2015 : STRICTLY CRIMINAL / Critique

13-09-2015 - 21:10 - Par

Toronto 2015 : STRICTLY CRIMINAL / Critique

Armé d’une mise en scène brillante et aidé par la prestation phénoménale de Johnny Depp, le réalisateur Scott Cooper se saisit de la figure mythique du gangster pour livrer un film de mafieux classique se muant en fascinant et terrifiant film d’horreur.

Whitey Bulger (Johnny Depp), malfrat de Boston d’origine irlandaise, va parvenir au sommet du crime organisé via son ami d’enfance, l’agent du FBI John Connolly (Joel Edgerton), dont il devient l’informateur. Une bonne occasion de faire tomber ses concurrents de la Cosa Nostra… Après avoir inspiré les rôles de Jack Nicholson et Pete Postlethwaite dans LES INFILTRÉS et THE TOWN, Whitey Bulger a droit à son film biographique dédié. Et l’on ne sera pas étonné de voir aux commandes de STRICTLY CRIMINAL le cinéaste Scott Cooper : lui qui explore les traumas de l’Amérique à travers ses icônes constitutives (le troubadour dans CRAZY HEART, le col bleu dans LES BRASIERS DE LA COLÈRE), s’attaque ici à une autre figure mythique, le gangster. À bien des égards, STRICTLY CRIMINAL rejoue une grande partie des passages obligés du film de mafieux, de l’ascension fulgurante faisant couler l’argent à flot aux périodes plus sombres où l’adversité se dresse sur la route du malfrat pour le mener vers sa perte. Et, avec intelligence, le film en profite pour livrer un portrait de l’Amérique et du rêve américain des plus acerbes. Dans cet exercice de funambule sur le fil du classicisme d’un genre autrefois balisé par Coppola, De Palma et bien sûr Scorsese, STRICTLY CRIMINAL peut faire confiance à son imposante distribution qui, de Joel Edgerton à Jesse Plemons en passant par Benedict Cumberbatch, Kevin Bacon, Peter Sarsgaard, Julianne Nicholson, Rory Cochrane ou Corey Stoll, ancre le film dans une sorte de réalisme tragique. D’autant qu’ils sont menés par un Johnny Depp phénoménal, que l’on n’avait pas vu aussi bon et impliqué depuis bien longtemps. Mais si STRICTLY CRIMINAL impressionne et passionne, c’est surtout pour le traitement que lui applique Cooper. « Si personne ne voit quelque chose, ce n’est pas arrivé », dit Bulger dans le film. Alors le cinéaste, pour ne pas se défiler devant le criminel et témoigner le plus honnêtement possible de ses actes, le regarde frontalement. Faisant un usage souvent dérangeant du gros plan – voire du très gros plan –, Cooper filme une violence brute et sanglante, dans laquelle Bulger et ses hommes apparaissent comme des bêtes sauvages et sournoises, bien loin du mafieux glamour et rigolard dont l’ambiguïté fascine. Séquence après séquence, fort d’une mise en scène redoutablement pensée qui pousse souvent Bulger hors du cadre, le floute ou le limite à une simple amorce – le tout pour en faire une menace perpétuelle mais invisible –, Scott Cooper mène STRICTLY CRIMINAL vers le film d’horreur : ses gangsters, filmés sans détour, sont laids, bouffis, vulgaires, trop maigres ou trop gros. Ce sont des monstres assoiffés de sang n’ayant que leur prospérité et leur survie en tête – un plan où la caméra est fixée au capot d’une voiture en ferait même des requins nageant vers leur proie. Avec ses yeux bleus transparents, sa peau diaphane, ses cheveux blancs et son rire à la Vincent Price, le Whitey Bulger de Depp a tout du vampire qui cannibalise son univers en en possédant chaque âme, en en corrompant chaque recoin. Livré à ces freaks infernaux, le spectateur se retrouve acculé par une pression de chaque instant, une tension folle et ressort de la salle les tripes nouées, le souffle court, à la limite de la nausée.

De Scott Cooper. Avec Johnny Depp, Joel Edgerton, Jesse Plemons. États-Unis. 2h02. Sortie le 25 novembre

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