CREED : chronique

13-01-2016 - 09:58 - Par

CREED : chronique

Ryan Coogler s’approprie une mythologie installée au cinéma depuis 40 ans et en tire un film actuel, émotionnellement riche, qui confine parfois à la perfection. Plus qu’un hommage, CREED donne un second souffle à ROCKY.

Creed-PosterAu-delà du fait que le fantôme d’Apollo, mythique adversaire devenu héros, plane bienveillant au-dessus de CREED, Ryan Coogler a utilisé tous les marqueurs de la franchise ROCKY dans son film. Des plus futiles (vivarium à tortues, presque du fan service) aux plus fondamentaux. C’est ce qui permet au film de ne pas être un simple spin-off un peu déconnecté, mais le digne épisode VII d’une franchise qu’on croyait morte, une nouvelle force cohésive. Le jeune réalisateur, même pas 30 ans, n’est pas pétrifié par son héritage, il s’en empare, le chérit et lui offre une seconde vie, pour un public d’aujourd’hui. On dit que les ROCKY sont des vieux films d’un autre temps, qui ne disent pas de gros mots, presque chastes. Jamais modernes… jamais démodés. Une nouvelle génération déclare sa flamme à une mythologie qui a forgé sa cinéphilie, n’en déplaise aux pourfendeurs du cinéma américain commercial. Ou à ceux qui n’ont jamais avalé que ROCKY soit oscarisé au détriment de TAXI DRIVER ou des HOMMES DU PRÉSIDENT. En guise de nouveau héros, Adonis (Michael B. Jordan), le fils illégitime d’Apollo Creed, élevé de foyer en foyer, qui s’exprime avec ses poings. Lié à son père par l’amour, la haine et la tristesse, il veut faire carrière dans la boxe lui aussi. Il part à la recherche de Rocky, dont il a tant entendu parler, mais qui refuse d’abord de l’entraîner. La mort d’Apollo sous les coups d’Ivan Drago, survenue il y a presque trente ans, est un traumatisme encore vivace. Rocky, déjà veuf, a aussi perdu Paulie, son fidèle beau-frère, et son fils, avec qui les relations se sont dégradées, est parti loin. L’ancien boxeur arpente le cimetière, pèlerinage quasi-quotidien dans le passé. Sa chaise est toujours juchée dans l’arbre près de la tombe d’Adrian. Adonis, c’est comme un souvenir qui aurait pris vie. Alors Rocky et Adonis vont finalement devenir un père et un fils de fortune, panser ensemble leurs plaies et se promettre de ne pas se laisser submerger par leur instinct de mort. Il est temps de « tuer » Rocky, car Creed doit s’accomplir – c’est une image. Coogler le fait avec une douceur rarissime. Le flambeau est passé. De ROCKY, CREED a pris la peinture hyperréaliste de Philadelphie. Quarante ans ont passé, Coogler remplace les abattoirs par les clubs, les animaleries par les Cheesesteak Houses. Il confie sa photo à la chef op’ Maryse Alberti, qui a déjà filmé la ville aux côtés d’Aronofsky (THE WRESTLER) ou de Shyamalan (THE VISIT), et fait de Philly un lieu bon et familier. Les vrais Philadel- phiens sont toujours là, en arrière-plan, en soutien de leur héros local. Le passage obligé du training montage est respecté. Les enfants qui encouragent Rocky pendant la traversée de Philly sont aujourd’hui des ados de quartiers durs qui, au volant de leurs motos vrombissantes et débridées, reconnaissent en Adonis le grand Apollo que leurs vieux ont tant respecté. Les exclus du rêve américain, sans qui l’Amérique ne serait pas l’Amérique. Ryan Coogler, dont FRUITVALE STATION est devenu a posteriori un film référence du mouvement « Black Lives Matter », prend son pays par les sentiments. Et aussi tous ceux qui aiment lorsque la boxe n’est qu’un prétexte à voir des hommes projeter sur le ring les injustices intimes. CREED, ce n’est pas que du cinéma social et sentimental. Coogler a musclé son jeu depuis FRUITVALE STATION. La caméra peut être brutale, lorsqu’elle filme les vestiges d’une ville frappée par la crise, comme purement aérienne, opératique. Il y a un gros morceau de bravoure : un match filmé grâce à un (vrai) plan séquence qui colle au siège. Les coups sont secs, les respirations violentes. La séquence, sans être trop démonstrative, est virtuose, l’immersion est totale. Et comme la musique de ROCKY, composée par Bill Conti, est peut-être l’une des plus emblématiques qui soit, Coogler a incité son compositeur Ludwig Goransson (déjà au générique de FRUITVALE STATION ainsi que de tous les courts- métrages de Coogler) à rentrer en compétition. À l’instar de ROCKY BALBOA, on mélange le hip-hop aux instrus enflammées. Le « Gonna Fly Now » de Conti résonnera bel et bien, mais le score composé par le jeune Suédois, à base de puissants cuivres et de pianos volontaires, lui fait un bel hommage. CREED voue une allégeance sans faille à ROCKY, mais finit par s’en affranchir, dans une énergie époustouflante. Le futur lui appartient.

De Ryan Coogler. Avec Michael B. Jordan, Sylvester Stallone, Tessa Thompson. États-Unis. 2h12. Sortie le 13 janvier

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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