EVEREST : Interview du réalisateur Baltasar Kormákur

31-01-2016 - 20:07 - Par

EVEREST : Interview du réalisateur Baltasar Kormákur

À l’occasion de sa sortie en DVD et Blu-ray, retour sur EVEREST, avec une interview de son réalisateur, publiée il y a quelques mois dans Cinemateaser Magazine.

Cet entretien a été publié au préalable dans Cinemateaser Magazine n°47 daté septembre 2015

Il a réalisé EVEREST, une histoire vraie de vie et de mort sur le plus haut sommet du monde, forte de la noblesse de ses héros néo-zélandais, d’une sobriété toute islandaise, et d’une puissance de storytelling à l’américaine. Trois ans après SURVIVRE qui, basé sur des faits réels, cherchait à comprendre comment un marin joufflu avait nagé plusieurs heures dans des eaux glacées après le naufrage de son chalutier, Baltasar Kormákur repart affronter les éléments. Il nous raconte sa troisième aventure hollywoodienne après CONTREBANDE et 2 GUNS, qui, en partie tournée au Népal, a pris des allures de course de fond.

 

Everest-Pic1SURVIVRE (voir le trailer en bas de post) vous a beaucoup aidé pour EVEREST. C’est grâce à lui que vous avez convaincu les gens que vous étiez la bonne personne pour le job.
Être embauché à la réalisation d’un film, ça ne veut pas dire que le film va se faire. Ça peut prendre un ou deux ans avant de réunir tous les financements et les producteurs. SURVIVRE me servait à ce que les gens comprennent que ça faisait sens que je réalise EVEREST. Parce que sinon, s’ils voyaient que le type qui avait fait CONTREBANDE voulait faire EVEREST, ils étaient un peu perdus. Alors, il me fallait montrer que j’avais fait aussi ça ou ça, que je savais faire des films dramatiques sur des sujets sérieux. Donc dans ce sens, SURVIVRE a joué un rôle très important pour EVEREST. Et puis de manière plus personnelle, je voulais vraiment raconter cette histoire. Mes muscles savent comment faire des films comme 2 GUNS mais mon cœur va vers des films comme EVEREST.

EVEREST est-il d’abord pour vous un challenge technique ?
Tout dans ce film était un challenge. Par exemple le script : l’histoire implique beaucoup de personnages et ce qui est compliqué, c’est que vous voulez rendre honneur à tout le monde. Que les personnes soient mortes ou vivantes, il vous faut montrer le même respect. En même temps, il faut rester réaliste et ne pas devenir trop… tendre. Avec tout le respect que je leur dois, je ne fais pas EVEREST pour les veuves. Il est crucial de trouver un équilibre. Je ne voulais jeter personne aux lions pour de simples raisons de dramaturgie, c’était trop facile. Ensuite, le financement du film a été très compliqué. On ne pouvait pas, vu les ambitions qu’on entretenait, aller en deçà d’un certain montant. Ça reste un gros budget évidemment, mais dans les financements américains, il y a des dépenses incompressibles et le budget doit faire avec. Les studios ne font généralement pas des films comme EVEREST, c’est vraiment très rare. Il y a un ou deux longs-métrages par an, maximum, qui ont une vraie histoire et qui sont en même temps de gros spectacles. Même si Universal a payé une grosse partie du budget, il y avait des financements extérieurs, apportés par Cross Creek ou Walden Media par exemple. Ça a pris du temps pour regrouper toutes ces parties. Et à un moment, ça s’est même cassé la gueule. Pendant deux mois, on a cru que le film ne se ferait pas. Jason (Clarke, ndlr) m’appelait pour savoir ce qui se passait, mais je ne savais pas quoi lui dire. Dans ces moments-là, il faut y croire car vous ne pouvez pas arrêter d’être amoureux d’un projet en claquant des doigts.

Everest-Exergue1Y a-t-il eu la tentation de transiger sur les décors naturels ? À un moment, vous ne vous êtes pas dit que ce serait trop cher et trop compliqué ?
Non, il a toujours été clair que je ne m’impliquerais sur le film que si je pouvais avoir certaines choses. Il y a des éléments dont vous serez fier, surtout sur un projet tel que celui-là. Et si ce n’est pas possible, il faut renoncer totalement. Je voulais shooter au max en décors naturels. On a fait des repérages très compliqués où on se rendait en hélicoptère sur l’Everest. (Rires.) Ça commençait bien, avec l’un des endroits les plus dangereux du monde. Et c’est là que vous comprenez quelles seront les limites, que vous comprenez qu’il y a des choses que vous pourrez faire et d’autres non. Au-dessus d’une certaine altitude, il n’y aura aucun moyen de travailler car ce sera trop dangereux – ces deux dernières années, il y a eu de réelles hécatombes sur l’Everest. Moi, même si j’ai parfois le goût du risque, ça ne m’intéresse pas de mettre mes équipes en danger. Et puis de toute façon, avec les compagnies d’assurance de ces productions, il y a une limite à ne pas franchir. Leur seuil de tolérance est un peu en dessous de celui des assurances islandaises. (Rires.) Chez moi, vous pouvez jeter un acteur en mer sans problème. Mais bon, j’ai poussé au maximum et j’ai pu majoritairement tourner en décors naturels. Je voulais faire un film qui soit aussi intime qu’un film indépendant, et aussi spectaculaire qu’un blockbuster. Je ne voulais pas avoir des personnages qui sonne faux, trop hollywoodiens : en six semaines (c’est la période que balaie le récit d’EVEREST, ndlr), les vrais gens ne changent pas tant que ça. Ils se révèlent, d’accord, mais ils ne se transforment pas en quelqu’un d’autre. Dans le script initial, il y avait pas mal de scènes d’exposition des personnages, qui se déroulaient chez eux. Je ne voulais pas de ça. Il fallait aller au cœur du voyage, directement. Bien sûr, au début du film, peut-être que vous ne savez pas précisément qui est qui. Mais vous l’apprenez au fur et à mesure et quand vous commencez à les connaître, alors ils se retrouvent en danger. J’ai fait ça exprès, parce que c’est exactement comme ça que vous rencontrez des gens quand vous voyagez. Vous les rencontrez dans un bus ou lors d’une rando à cheval… C’était donc une manière très honnête d’immerger le spectateur dans le récit.

Everest-Pic2Vous m’aviez dit que vous n’auriez pas pu faire SURVIVRE aux États- Unis car des producteurs américains auraient forcément voulu en faire des caisses sur le drama et l’héroïsme. Avez-vous dû vous battre pour garder une certaine sobriété dans EVEREST? Notamment avec vos producteurs ?
Non. Mon producteur principal, Tim Brevan, a toujours été d’un soutien inconditionnel. Tim a grandi en Nouvelle- Zélande et ça lui était très important de rester fidèle aux vraies personnes. On a voyagé ensemble en Nouvelle-Zélande, où on a rencontré la veuve de Rob (Hall, personnage principal du film, ndlr) notamment, et plusieurs proches des victimes. Et nous avons écouté les bandes sonores enregistrées le soir du drame, il y a 18 ans. Avec eux, on a vécu le traumatisme d’écouter ces enregistrements. On ne connaissait ces gens que depuis deux jours. C’est une expérience qui vous rend humble. C’était un moment fort pour Tim et moi. Ce qui est crucial entre un réalisateur et un producteur, c’est qu’ils aient décidé de faire le même film, avant même qu’ils aient commencé à le faire. Et quand vous faites 20 heures de vol aux côtés de quelqu’un, vous avez de vraies conversations et vous vous assurez que vous comptez bien faire le même film.

Ce qui est vraiment marquant dans le film, c’est la sous-dramatisation de la mort. Vous filmez des corps s’éteindre littéralement. Ou tomber, comme des poids morts.
SURVIVRE m’a bien aidé dans ce sens, car il a contribué à ce que le puzzle s’assemble. À l’époque, pour une émission de la BBC, j’ai rencontré le professeur Mike Tipton, qui travaille en Angleterre et qui est spécialiste en hypothermie. Et en off, il m’a demandé sur quoi je travaillais depuis que j’avais fini SURVIVRE et je lui ai parlé d’EVEREST. ‘Super’, il me dit, ‘j’ai un caisson qui me permet de vous montrer ce que c’est d’être en haut de l’Everest. Ramenez vos acteurs et ils pourront respirer comme ils respireraient au sommet’. Et c’est ce que j’ai fait quelques mois plus tard pour leur montrer comment le corps peut littéralement s’éteindre. J’aurais pu filmer mes acteurs en train de glisser des parois en criant, mais ce n’est pas comme ça que ça se passe. En un claquement de doigts, vous disparaissez. Sur une montagne, vous vous évaporez. Les morts en montagne, c’est comme ça : c’est un coup de vent ou une avalanche qui les emporte. Il n’y a rien
à rajouter.

Dans EVEREST, les acteurs sont engoncés dans des couches de vêtements. Ce qui change radicalement leur énergie et, a fortiori, celle du film. Diriez-vous qu’EVEREST a son propre rythme ?
Oui !

… Et vous avez dû vous y adapter ?
L’un des challenges du film est que l’alpinisme à très haute altitude est un processus très lent. C’est littéralement un pied devant l’autre. En même temps, on a forcément envie de faire un film excitant qui ait du mouvement, vous voyez ? Pour certains le rythme d’EVEREST apparaîtra lent. Mais je pense qu’en général un rythme lent (et la tension inhérente) est plus gratifiant. Il y a aussi tous ces petits détails comme quand ils ouvrent leurs habits ou quand ils doivent porter des masques – et ça fait sens quand on skie car sinon on ne voit pas bien. Mais il fallait que l’on puisse voir les visages des acteurs ! Il a donc fallu qu’on établisse nos propres règles sans pour autant perdre en authenticité. Il fallait que le public puisse suivre qui parlait – parfois le médecin de l’équipe ne voulait pas que les acteurs enlèvent leurs protections car dans la réalité ils ne le feraient pas ! ‘OK mais à qui il parle alors ?’ (Rires.)

Everest-Exergue2Quand vous tournez en décors réels, dans des circonstances assez extrêmes, comment se passe la réadaptation au travail en studio ?
J’appelle ça ‘l’extension capillaire’. Au total on a tourné six semaines à -30°C. Ma règle était de faire le maximum en vrai et puis d’ajouter ce qui manquait. En faisant tout ce qu’il nous était possible de faire en extérieur, cela donne une référence à suivre. Du coup, tout ce que nous tournions en studio devait être aussi bon que ce que nous avions filmé dans la nature. Il fallait que ça colle ! Parfois je regarde certains films hollywoodiens et je me dis : ‘À quel moment ont-ils perdu le sens de la réalité ? Pourquoi tout le monde est si bien coiffé ? Pourquoi tout le monde est si bien maquillé ?’ Et cela peut déraper très vite. C’est pour ça que je voulais que l’on débute le tournage au Népal, qu’on marche là-bas avec les acteurs, qu’ils aient à porter leurs propres affaires, qu’ils dorment dans le froid. Pas d’assistant. Tout le monde portait l’équipement comme si on était de retour à l’école de cinéma. Et on a donc tourné comme ça pendant 6 semaines à -30°C. Ils n’en pouvaient plus de cette montagne ! (Rires.) Mais effectivement, une fois en studio, on avait des références.

Pour EVEREST, vous avez engagé des acteurs très virils. Jason Clarke et Josh Brolin ont cette image de mâles alpha, par exemple. À quel point leur image était-elle aussi importante que leur talent ?

Je n’y ai pas pensé en ces termes. Je voulais être aussi authentique que je le pouvais. Jason est australien et il a donc cet accent australo/néo-zélandais – je ne voulais pas d’un acteur américain faisant cet accent, à la limite j’aurais pu prendre un Anglais. Mais un Américain faisant l’accent néo-zélandais, cela n’aurait vraiment pas été réaliste ! (Rires.) Au départ, je n’avais pas nécessairement envie d’engager une star mais Christian Bale était intéressé par le rôle et je l’appréciais beaucoup, je me disais que ça pouvait fonctionner. Au final cela n’a pas abouti, il a préféré aller faire un film avec Ridley Scott, EXODUS. D’autres gros acteurs m’ont approché en se disant intéressés. Mais j’ai voulu modérer les choses et réunir un casting choral, un ensemble. Je voulais construire un casting à partir de Jason Clarke et dépenser notre argent pour plusieurs acteurs plutôt que sur un ou deux gros noms. Je crois que… vous avez raison, il y a une évidente masculinité chez eux mais ils sont aussi chaleureux. Et ce dernier point était très important pour moi en ce qui concerne Jason. Pour Josh, il a un background texan… donc il pouvait facilement incarner une sorte de trou de cul qui parle sans vraiment rien prendre au sérieux. [SPOILER] Dans EVEREST, le mec qui est heureux et en couple meurt tandis que celui dont la vie est baisée survit. Ce ne sont pas toujours les gens heureux qui survivent à la fin… Et je ne voulais pas rendre le personnage de Josh Brolin plus sympathique qu’il ne l’est pour rendre sa ‘survie’ plus chouette. Car c’est comme ça, la vie. [FIN DE SPOILER] Pour SURVIVRE, je me souviens avoir parlé avec la mère d’un des garçons décédés dans le naufrage et elle m’a dit : ‘Gulli a survécu alors qu’il buvait et qu’il était bon à rien. Mon fils avait une famille, il faisait tout bien et il est mort. Je ne peux pas accepter ça.’ Je n’étais pas nécessairement d’accord avec elle mais j’ai compris. J’aime ça car ce n’est pas prévisible. Dans un film hollywoodien, ce serait le ‘bon gars’ qui serait censé survivre à la fin.

Everest-Pic3On l’a dit, EVEREST est un film spectaculaire, intrinsèquement fait pour le grand écran. Est-ce important pour vous de sacraliser l’expérience de voir un film en salles ?

Il y a une chose qui m’intéressait beaucoup avec EVEREST, c’était d’essayer de créer quelque chose de réaliste qui, en même temps, offrait une véritable expérience de cinéma au spectateur et à grande échelle. Car… vous savez les films qui s’adressent aux adultes comme ceux de Woody Allen, c’est chouette mais… je pense que les gens aiment aussi les spectacles. Et ces spectacles n’ont pas à être idiots. Avant même de voir GRAVITY, je disais que je voulais faire EVEREST en 2,5D. On me disait : ‘C’est en 2D ou en 3D’. ‘Non ! En 2,5D !’ À savoir que quand on a besoin de la 3D, on la pousse. Du coup, la 3D n’est pas un gimmick. Et puis GRAVITY est sorti et j’ai vu qu’ils avaient utilisé une méthode assez similaire. Cela m’a aidé à convaincre les gens et à leur faire comprendre ce que je voulais faire. Prenez L’ODYSSÉE DE PI : c’est un très bon film mais quand ils discutent assis à la table de la cuisine, il y a trop de relief ! (Rires.) En revanche, la 3D était géniale dans les scènes en mer. Je crois que l’industrie apprend peu à peu que l’on peut faire du spectacle avec des histoires adultes et que les gens se rendront en salles – enfin j’espère ! (Rires.) En Amérique, EVEREST va sortir en exclusivité en IMAX pendant une semaine. J’adore ça, ce sera une expérience spéciale [pour le public].

EVEREST
Disponible en DVD et Blu-ray
Lire notre critique

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.