STEVE JOBS : chronique

03-02-2016 - 08:45 - Par

STEVE JOBS : chronique

Offrant un regard complexe sur le cocréateur d’Apple, Aaron Sorkin et Danny Boyle bâtissent un film mû par une foule d’émotions et d’énergies diverses, chroniquant autant les erreurs et les gloires d’un homme que l’époque qu’il a contribué à créer.

Jobs-Poster« Hollywood a rendu les ordinateurs effrayants », lance Michael Fassbender dans STEVE JOBS, faisant obliquement référence à toute une culture techno- parano qui a culminé avec le Hal 9000 de 2001, L’ODYSSÉE DE L’ESPACE et le Skynet de TERMINATOR. Que STEVE JOBS débute sur un témoignage d’archive d’Arthur C. Clarke, le père littéraire de Hal mais également le prophète de la révolution informatique, n’est donc pas la seule des malices de STEVE JOBS. Car si l’ordinateur a parfois été « effrayant » au cinéma, STEVE JOBS va s’atteler à observer l’homme derrière la machine – et celui-ci n’est pas nécessairement plus engageant. Précédé d’une rumeur sulfureuse – le film a été répudié par l’épouse de Jobs, par le nouveau PDG d’Apple et par une communauté de fans –, STEVE JOBS n’est pas un biopic de Steve Jobs. Ou il l’est sans l’être, il cherche une vérité parmi un océan de vérités, sans pour autant prétendre l’avoir trouvée. Et, plus qu’un biopic, STEVE JOBS est avant tout un paradoxe en s’affirmant comme le grand film, personnel et idiosyncrasique, de deux hommes : le scénariste Aaron Sorkin et le réalisateur Danny Boyle. À ce titre, STEVE JOBS pourrait même être qualifié de chef- d’œuvre au sens anglo-saxon du terme – masterpiece, la pièce maîtresse –, tant il apparaît comme une quintessence parfaite de la lettre Sorkin et de la patte Boyle. Les deux hommes se rejoignent ici sur un terrain commun : le théâtre – où ils ont tous deux officié. En quasi huis-clos, et dans une structure en trois actes très distincts revenant sur trois moments clés de la carrière de Jobs – les keynotes du Macintosh, de NeXT et de l’iMac –, Sorkin bâtit le script le plus sorkinien qui soit, un scénario plus proche de À LA MAISON BLANCHE et STUDIO 60 que de SOCIAL NETWORK. Un pur « walk & talk » comme il les affectionne, alerte, perpétuellement en mouvement – physique et intellectuel – où les idées se confrontent, où le professionnel informe le personnel, où une réplique de quatre mots résume la cruauté de Jobs, où le portrait clinique mène au sentiment. Émerge aussi tout le génie de Jobs, son délire démiurgique servant parfois des idées révolutionnaires – son refus de voir l’information contrôlée par IBM –, sa vision artistique et donc séduisante de son travail. Non, STEVE JOBS n’est pas un biopic : il est bien plus que ça. Triturant les faits, condensant les réalités, STEVE JOBS est une chronique de l’Amérique (et au-delà, du monde occidental) comme Sorkin les aime, cette Amérique qui érige des nerds en gourous, des modes de consommation en modes de vie et qui assiste à des grands- messes technologiques comme une secte exaltée. Mais ce nouveau monde sait-il vraiment communiquer ? Est-il social et humain ? STEVE JOBS regarde son époque et pourtant, demeure profondément intemporel. Là entre en scène Danny Boyle : avec son énergie de dandy punk, il se saisit de la figure de Jobs, dompte certains de ses élans pour respecter le cadre imposé par Sorkin et en même temps, en explose les frontières – notamment lors de transitions incisives. Boyle multiplie les idées de montage fulgurantes pour des scènes furieuses et opératiques – deux disputes entre Jobs et son mentor, à deux époques différentes, montées conjointement –, apporte une foultitude d’idées de mise en scène – dont un changement de format de partie en partie, 16mm, 35mm et numérique, offrant à chacune d’elles une atmosphère très précise –, il rend profondément cinématographique des mécanismes théâtraux ancestraux – apartés, entrées et sorties de scène. Dans ce cyclone de mots, d’images, de prestations d’acteurs à couper le souffle, dans cette hybridation permanente du théâtre et du cinéma, du moderne et du classique, de l’intime et du global, du visuel et du lettré, Danny Boyle retrouve sa fascination pour les anticonformistes qui, de bravades un peu arrogantes en prises de pouvoir sur le récit même d’un film, façonnent le storytelling de leur vie, façonnent leur propre légende. Brillant et généreux.

De Danny Boyle. Avec Michael Fassbender, Kate Winslet, Seth Rogen. États-Unis. 2h02. Sortie le 3 février

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