Interview : Aziz Ansari, le comique qui vous veut du bien

12-02-2016 - 14:44 - Par

Interview : Aziz Ansari, le comique qui vous veut du bien

Netflix vient d’annoncer officiellement que MASTER OF NONE aura une saison 2 en 2017. On en profite pour republier notre interview d’Aziz Ansari.

 

Cet entretien a été publié au préalable dans Cinemateaser Magazine n°51, daté février 2016

2015 a été l’année Aziz Ansari. Après avoir dit adieu à son personnage culte de Tom Haverford dans PARKS AND RECREATION, le jeune comique américain d’à peine plus de 30 ans s’est offert un show à guichets fermés au célèbre Madison Square Garden. Mieux encore, il termine l’année sous les lauriers, grâce à sa série MASTER OF NONE, petit bijou made in Netflix, et son livre « Modern Romance », véritable best-seller. Rencontre avec un comique heureux.

 

MasterNone-Pic3Qu’est-ce que ça fait d’être l’auteur, l’acteur et le producteur de la meilleure série de 2015 ?
(Rires.) Merci… Je suis hyper fier de MASTER OF NONE, vraiment. Quand on me fait des compliments, quand on me dit que c’est bien, je sais que normalement je devrais minimiser le truc, la jouer modeste, mais putain, ça fait du bien ! Avec mon co- auteur Alan Yang, on a tellement bossé le scénario, le casting, la réalisation, la musique, tout jusqu’à la manière dont le générique apparaît. On a bossé comme des fous. On a mis tellement de temps, d’attention, de nous-mêmes là- dedans que le succès de la série et surtout le retour du public, on les prend comme une récompense sans faire de manières. Je n’ai pas trop honte de le dire, je suis heureux. C’est pour ça aussi qu’on va prendre le temps pour une saison 2. Histoire de ne pas tout foutre en l’air !

Il y a quelque chose de profondément gentil dans votre humour. Que ce soit dans vos spectacles ou dans MASTER OF NONE, vous ne riez pas des gens, vous riez avec eux…
Je crois que l’essence de mon travail, c’est l’empathie. On ne peut pas faire rire si on ne cherche pas à comprendre ce qui nous entoure. Il faut se laisser toucher par les choses, par les gens. MASTER OF NONE raconte l’histoire d’un type qui voit constamment ce qu’il pensait remis en cause. La vie l’oblige à avoir de nouvelles perspectives sur les femmes, ses parents, son travail etc. C’est évidemment quelque chose dont je me sens très proche. Mon travail, c’est de regarder le monde, d’être à l’écoute et d’essayer de raconter tout ça avec mon point de vue, mes inquiétudes. J’aime bien essayer de comprendre comment les gens pensent, c’est peut- être ça qui me motive le plus. Je trouve qu’il n’y a rien de plus passionnant à raconter que la façon dont on vit aujourd’hui.

Ansari-Exergue1Vous parlez d’empathie, d’écoute, de changements de point de vue. Vous êtes un optimiste dans un monde de plus en plus cynique…
Je ne sais pas si je suis si optimiste. C’est encore une fois une question de point de vue. Ça ne veut pas dire que tout ce que je vois me plaît, que je suis d’accord avec le monde tel qu’il est. Je ne veux pas apporter des solutions aux gens ou même donner des leçons. Je raconte ce que moi je vis, ma prise de conscience des choses. C’est surtout une question d’attitude, en fait. Quand dans la série, on parle d’immigration, d’intégration ou de sexisme, on ne se contente pas de dire ‘Regardez, c’est horrible, on me cantonne à jouer les immigrés indiens dans les films’ ou ‘Regardez comme les femmes ne sont pas prises au sérieux dans l’industrie’ : c’est un point de départ pour aller vers autre chose. Dans la vie, soit tu passes ton temps à te plaindre et à dire que tout va mal, soit tu le sais déjà et tu fais en sorte de trouver de quoi respirer.

Vous dites vous être beaucoup inspiré des comédies américaines des 70’s pour écrire et filmer MASTER OF NONE. Ce n’est pourtant pas le moment le plus fort du genre, non ?
Ce ne sont pas des comédies hilarantes mais ce sont des comédies qui vous apprennent à vivre. Woody Allen, Hal Ashby, LE LAURÉAT (1967) ou LE BRISE CŒUR (1972) racontent des moments de vie ‘gris’, ces moments où ce n’est ni la joie ni la galère, juste la vie. Et ça, ça m’intéresse. J’écris pour raconter ces moments où on doit juste vivre et c’est déjà beaucoup trop difficile.

MasterNone-Pic2Que ce soit dans vos spectacles, votre livre ou MASTER OF NONE, vous décrivez les angoisses que crée le monde d’aujourd’hui. L’hyper-connexion, le diktat de l’âme sœur, les nouvelles tendances… Vous ne seriez pas un peu réac ?
Les réac croient que c’étaient mieux avant. Moi, je crois que ça a toujours été comme ça. On s’est toujours plaint de la manière dont on vivait. Je crois que l’être humain est profondément insatisfait, c’est comme ça. Alors il s’angoisse. ‘Est-ce que je suis heureux ? Est-ce que je fais ce qu’il faut pour l’être ? Ça va, mais pourquoi ça ne pourrait pas aller mieux ?’ etc. Chaque génération vit ces angoisses avec les outils qu’elle crée. Pour nous, ça passe par les téléphones portables et internet. Mais le fait de ne pas savoir où l’on va et d’être un peu paumé dans la vie, c’est un problème éternel. C’est pour ça d’ailleurs qu’à la fin de MASTER OF NONE, je cite un passage de ‘La Cloche de Détresse’ de Sylvia Plath. Ça a beau avoir été écrit dans les années 1960, on a l’impression qu’elle parle de nous.

Être une radiographie très précise de notre époque, c’est le but de beaucoup de sitcoms d’aujourd’hui. On a beaucoup comparé MASTER OF NONE à LOUIE, parce que comme vous, Louis C.K vient du stand-up. Mais vous semblez plus tendre que lui. La satire ne vous intéresse pas. MASTER OF NONE, c’est le meilleur de notre époque…
Est-ce que Dev, le héros, est le meilleur de notre époque ? Je ne sais pas… Il essaie d’être réglo, d’être heureux mais il est un peu paumé. Louis et moi, on vient du stand-up et nos séries respectives ont la même forme : vaguement autobiographi- ques et hyper centrées sur les dialogues et les personnages. Donc la comparaison est évidente. En plus, contrairement à SEINFELD, autre série liée au stand-up, on n’est plus du tout dans les codes de la sitcom. Donc forcément, les gens comparent. Mais on n’a juste pas la même vision des choses, pas le même humour. J’adore Louis C.K, mais c’est absurde de nous comparer. Louis vient d’une autre génération et son regard est différent. Peut-être que lui est plus en colère que moi, je ne sais pas…

Contrairement au stand-up, on sent dans votre livre ‘Modern Romance’ et votre série MASTER OF NONE une volonté d’aller un peu plus loin que la vanne. C’est l’aspect très scientifique du livre que vous avez écrit avec un sociologue et le côté très cinématographique de la série…
On ne peut pas se contenter de balancer des répliques et mettre un générique de fin. Si je fais une série ou un livre, c’est justement pour proposer autre chose, aller un peu plus loin. Je crois qu’il y a une cohérence dans mon travail, je parle souvent des mêmes thèmes comme l’intégration ou l’amour mais je dois trouver une manière de le faire pour chaque forme. On a passé beaucoup de temps à écrire MASTER OF NONE pour que ça ne soit pas justement une succession de vannes. Si chaque épisode aborde un thème précis, on voulait vraiment qu’il y ait une histoire, des personnages auxquels on s’attache. Le public vient pour se marrer mais il revient parce qu’il a des sentiments pour les personnages.

Ansari-Exergue2Vous n’oserez pas l’avouer mais MASTER OF NONE est une comédie romantique, non ?
Ah mais si, bien sûr ! Je vois plutôt ça comme une comédie romantique mais qui se demanderait comment l’être, vous voyez ? Un mélange de romantisme et de critique sociale. Ce n’est pas simple aujourd’hui de croire en l’amour. On a envie d’aimer l’autre, de s’aimer soi-même, d’aimer son job, d’aimer sa famille, d’aimer ses amis, etc. Ça demande beaucoup trop de boulot ! Ce n’est pas pour me comparer mais Stevie Wonder a écrit des albums comme ça. ‘Innervisions’, son album de 1973, c’est autant un album romantique qu’un album sur la société.

Il y a aussi quelque chose de très politique dans votre humour, notamment sur l’intégration toujours compliquée aux USA. Avec les tensions actuelles, c’est nécessaire pour un comique aujourd’hui d’être politique et de parler de ces sujets ?
Je sais pas si c’est nécessaire mais c’est naturel surtout. Aujourd’hui, aux États- Unis, on ne peut plus faire comme si tout allait bien. Mais être politique, ça va au- delà de dénoncer telle ou telle chose. Je crois qu’aujourd’hui, il faut surtout faire bouger les cases. C’était ce qu’on avait en tête avec MASTER OF NONE. Montrer toutes les cases où on veut nous mettre, sexe, âge, nationalité, job et essayer de les secouer un peu. On passe notre temps à avoir des préjugés, à se dire ‘Oh tiens, c’est une personne âgée, elle est sûrement raciste’ ou ‘Oh tiens, c’est un type, il est forcément macho’. Quand on écrivait les épisodes avec Alan Yang, on se disait toujours : ‘Oh tiens, un gros cliché. BOUM, on l’explose’. On voulait de la nuance, montrer qu’on ne peut pas réduire les gens à un truc unique. Je ne suis pas qu’un acteur comique avec des origines indiennes, par exemple.

MasterNone-Pic1L’un des épisodes les plus forts traite justement de cette stigmatisation dont vous avez été victime. On ne vous proposait que des rôles extrêmement stéréotypés. Vous montrez que vous avez grandi avec ces stéréotypes au cinéma et à la TV et que quelque part, toute une génération a accepté de se conformer à ces stéréotypes. Avec vos rôles dans MASTER OF NONE et PARKS AND RECREATION, vous devenez une sorte de modèle…
Bah si c’est le cas, tant mieux. Je ne veux pas incarner quelque chose ou jouer un rôle de militant. Je ne suis pas Spike Lee. La diversité dans les films et les séries, c’est juste une manière de permettre à tout le monde de se trouver des modèles. Quand t’es gamin et que le seul personnage qui a ta couleur de peau est un gangster ou un vendeur de hot-dogs, je suis pas sûr que ça te donne envie de te projeter dans le futur. J’en discutais avec un ami asiatique qui me disait combien LES TORTUES NINJA 2 avait été un film important pour lui dans les années 90, tout ça, parce qu’au début, y’a un gamin asiatique qui met une raclée à des types. Voilà, c’est à ça que servent les films. Pour MASTER OF NONE, on s’est dit qu’on ne voulait pas ‘stéréotyper’ les rôles, qu’on prenait les acteurs qui nous plairaient. Le personnage de Denise n’était pas celui d’une lesbienne afro-américaine. Mais l’actrice Lena Waithe a apporté ça au rôle. Il faudrait qu’on arrive à sortir des rôles ‘ethniques’ et qu’on prenne les acteurs pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qu’ils représentent.

Faire une série sur un sujet aussi complexe, avec des intentions politiques et comiques, ça n’est possible que sur Netflix aujourd’hui ?
Je ne l’espère pas mais moi j’ai eu la chance que Netflix me suive à 100%. Si j’arrive dans le bureau d’une chaîne de télé et que je leur dis ‘C’est l’histoire d’un mec qui hésite, qui ne sait pas s’il prend toujours les bonnes décisions et qui se demande parfois si le monde entier prend les bonnes décisions’, ils vont me regarder bizarrement. Si en plus, je leur dis que je veux faire ça de manière hyper cinématographique, avec des acteurs que je choisis, des gens pas forcément très connus, là je pense que je prends la porte. Netflix, c’est tout le contraire. Plus c’est singulier, plus vous croyez en ce que vous leur proposez, plus ça les intéresse, je crois.

MASTER OF NONE
Disponible sur Netflix

 

 

 

 

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